Témoignages

Les contreforts de l’HistoireHommage à Sylvie Vincent (1941-2020)[Notice]

  • Nelcya Delanoë

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  • Nelcya Delanoë
    Professeure émérite, Université Paris Nanterre

Version remaniée d’un texte originalement publié dans le Journal de la Société des américanistes (106[1] : 235-250, 2020) sous le titre « Les contreforts de l’histoire : hommage à Rémi Savard (mars 1934-décembre 2019) et Sylvie Vincent (avril 1941-avril 2020) ». https://doi.org/10.4000/jsa.18197.

On connaît Sylvie Vincent pour son rôle dans la fondation de la revue Recherches amérindiennes au Québec (RAQ), à laquelle, depuis 1971, ont contribué d’autres anthropologues ainsi que des chercheurs venus de différentes disciplines. L’objectif de la revue était alors de fournir aux désormais nombreux chercheurs « amérindianistes », comme on disait au Québec, une revue scientifique et pluridisciplinaire qui ferait connaître leurs travaux sur les sociétés autochtones. La revue évoluait de façon autonome, en dehors du cadre universitaire, tout comme la Société d’archéologie préhistorique du Québec (1966) et le Laboratoire d’anthropologie amérindienne (1970), lui-même constitué de certains chercheurs du Groupe de recherches nordiques (1966) du département d’anthropologie de l’Université de Montréal. Dirigé par Rémi Savard, le groupe – qui incluait Sylvie Vincent, José Mailhot, Madeleine Lefebvre et Claude Lachapelle – adopta officiellement en mai 1970 le nom de « Laboratoire d’anthropologie amérindienne » (RAQ, 1 [1], p. 38-40). Rappelons que depuis 1967 le Québec francophone était traversé par la montée du mouvement souverainiste et qu’en 1976 René Lévesque formait le premier gouvernement indépendantiste de la Belle Province. Mais comment prétendre promouvoir l’idée d’un Québec indépendant quand ce dernier était installé sur des terres qui non seulement ne lui appartiennent pas mais, de surcroît, appartenaient aux « Sauvages », comme on les appelait alors ? La réponse était simple : en ne se posant pas la question ! Le Québec n’avait jamais signé aucun traité avec les Amérindiens ; d’ailleurs ils étaient peu nombreux, la terre n’était quasiment pas peuplée (ou si peu) et ils ne savaient pas l’exploiter. Quant au racisme institutionnel et à ses conséquences sociales, on ne voyait pas… La force et la longévité de cette invention de la terre vierge et non exploitée par les Autochtones des Amériques n’est certes pas l’apanage des Québécois (voir Delanoë 1996). Mais, comme l’explique l’historien Brian Gettler, ces récits fondateurs, qu’il qualifie de « nationalistes-conservateurs » pour les uns et « négationnistes » pour les autres, Et ce pour deux raisons. Soit il ne s’agirait pas des mêmes communautés que celles rencontrées par les premiers Européens, soit les fondements juridiques invoqués par les autochtones seraient « insuffisants ». En somme, il s’agissait de « rendre naturelle la nation coloniale, qu’elle soit québécoise ou canadienne, en mettant en question l’authenticité historique des nations colonisées ». Les autochtones ne sont et ne sauraient être acteurs de leur histoire et encore moins de l’Histoire. Le texte cité ci-dessus a été écrit en 2016 par un historien anglophone de l’Université de Toronto et publié dans RAQ. C’est qu’en vérité, en cette deuxième décennie du xxie siècle, les vieilles constructions idéologiques et anachroniques décortiquées par Gettler servaient encore et toujours les visées de l’État québécois sur le foncier autochtone, empêchant ainsi, et c’est le but, de « faire dialoguer l’histoire autochtone et l’histoire nationale au Québec ». Au Québec donc, il convient de replacer les Amérindiens au coeur de l’anthropologie, de l’ethnologie, de l’ethnohistoire, de l’histoire, mais aussi des arts plastiques, du cinéma, de la littérature, au coeur du Québec, dont ils sont les contreforts. Et ce depuis des siècles. Mais toujours sur le métier… Bien que titulaire d’une maîtrise en anthropologie, Sylvie Vincent n’était pas devenue universitaire pour la simple raison qu’elle ne le souhaitait pas. Ce choix peu courant et marqueur d’un inhabituel statut social n’empêchait pas qu’elle enseignait, publiait livres, articles et comptes rendus, faisait du terrain et des recherches, participait à des colloques, des réunions, des débats… Co-auteure en 2009 de l’ouvrage intitulé Au croisement de nos destins : quand Uepishtikueiau devint Québec, rédigé …

Parties annexes