Comptes rendus

Entangled Territorialities: Negotiating Indigenous Lands in Australia and Canada, Françoise Dussart et Sylvie Poirier (dir.). Toronto : University of Toronto Press, 2017, 272 p.[Notice]

  • Raphaël Preux

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  • Raphaël Preux
    Doctorant, département d’anthropologie, Université de Montréal

Le détail de l’oeuvre Usufructs (1995) de l’artiste et activiste Lawrence Paul Yuxweluptun, utilisée pour l’illustration de couverture, prépare le lecteur à porter son attention sur la complexité de cette situation, qui s’est développée de façon comparable au Canada et en Australie. D’une part, la colonisation visait à déposséder les populations autochtones de leurs terres et de leurs modes de relation à celles-ci par un arsenal de dispositifs politico-juridiques. Mais d’autre part, et en dépit des violences subies, ces terres et ces relationnalités demeurent vivantes, à la fois présences ancestrales et sources de projets éthico-politiques orientés vers des futurs autodéterminés. Comme l’écrit John Borrows dans la préface de l’ouvrage – en conclusion d’un récit traditionnel Anishinaabe : « … to be alive is to be entangled in relationships not entirely of our own making » (xiii). Mais, nuance-t-il au préalable, « … our entanglements can be either liberative or oppressive » (viii). Une telle ouverture sur les multiples significations que peuvent prendre les relations entre autochtones et allochtones, relativement au territoire (système foncier, gestion des ressources territoriales et plus généralement relation au vivant, mais aussi à l’ancestralité) et en fonction de différents contextes, constitue l’intérêt majeur de cet ouvrage. Parler d’enchevêtrement, comme le signale Michael Asch dans la postface, ne se réduit donc pas à pointer les impacts du colonialisme sur les sociétés autochtones, comme si ceux-ci pouvaient être unilatéraux et définitifs. Ce qui est recherché à travers ce concept est plutôt « to analyse “what is going on”, since it draws attention to imaginative possibilities and unexpected consequences of colonization, neo-colonization, and commodification ». (11) Cela donne naturellement lieu à des conceptions diversifiées de ce que recoupe la notion d’enchevêtrement, comme en témoignent les dix chapitres de l’ouvrage qui reposent sur des études de cas. Cinq chapitres se rapportent à des contextes canadiens : les stratégies de dialogue des chasseurs eeyouch du nord du Québec avec Hydro-Québec (Harvey Feit), les stratégies des chasseurs eeyouch avec les chasseurs récréatifs allochtones (Colin Scott), la politique territoriale des communautés cries-métisses du nord de l’Alberta (Clinton Westman), la reconnaissance d’une agentivité des ancêtres salish de la Côte en Colombie-Britannique contre la profanation de leurs sites funéraires (Brian Thom), la négociation d’une autonomie relative du territoire (Nitaskinan) par les Nehirowisiwok (Centre du Québec) dans leurs réponses à la colonialité globale (Sylvie Poirier). Cinq autres chapitres concernent des contextes australiens : tout d’abord dans la Terre d’Arnhem, la réappropriation territoriale par les Yolŋu, que ce soit à travers leur engagement dans la gestion des Indigenous Protected Areas (Frances Morphy) ou à travers leur lutte contemporaine pour la sélection des sites funéraires (Sachiko Kubota), ainsi que la two-way approach développée par les rangers « yugul mandir » de la communauté de Ngukkur (Elodie Fache). Ensuite, en Australie centrale, celui de la gestion par les Aṉangu et les Warlpiri des chameaux importés par les colons puis laissés à l’état « sauvage » (Petronella Vaarzon-Morel), et celui de l’usage controversé de la cartographie dans le processus de revendication territoriale des Warlpiri (Nicolas Peterson). L’ouvrage est particulièrement intéressant du fait que ces différentes contributions ne constituent pas un simple catalogue de situations d’enchevêtrement, mais qu’elles mettent ce concept même au travail, à l’épreuve du terrain et parfois des concepts des communautés locales elles-mêmes. Par exemple, dans le contexte australien, Morphy opère une distinction essentielle entre, d’une part, la notion yolŋu d’enchevêtrement (mämuy), qui désigne les addictions introduites par la colonisation, et d’autre part l’« articulation » des moyens offerts par l’État au travers des Indigenous Protected Areas, au projet de sauvegarde de l’autonomie des …

Parties annexes