Comptes rendus

Aniasiurti — Récit d’une presque médecin, Louisette Giroux. Saint-François-du-Lac, Éditions Tsemantou, 2020, 104 p.[Notice]

  • Yves Laberge

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  • Yves Laberge, Ph.D.
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Ce livre de mémoires au féminin raconte le parcours assez exceptionnel d’une Québécoise ayant vécu sept ans auprès des populations autochtones de ce qu’on appelait alors le Nouveau-Québec (maintenant le Nunavik). C’est là qu’elle s’établit avec son mari d’origine alsacienne et leurs jeunes enfants. Pour la population de ces régions nordiques peu fréquentées par des Blancs, l’infirmière Louisette Giroux était surnommée « la presque médecin », une « Aniasiurti » (p. 7), et c’est ainsi qu’on la désignait familièrement : elle soignait, conseillait et quelquefois même procédait seule à des accouchements en l’absence d’un médecin en titre. Ce livre illustré apporte – rétrospectivement – une description précise de la vie quotidienne dans le Nord québécois, surtout à Port-Nouveau-Québec (Kangiqsualujjuaq, p. 49), qui comptait alors 250 habitants, situé sur la rivière George, dans la Baie d’Ungava, de 1970 à 1980 (p. 50). Juste avant, un autre séjour de quelques semaines avait eu lieu à Fort-Chimo, renommé aujourd’hui Kuujjuaq. La famille y côtoie brièvement le révérend père oblat André Steinmann (1912-1991), considéré comme missionnaire, interprète, catalyseur auprès des Innus, et comme un trait d’union entre les deux communautés (p. 50 et 76). Lors de son arrivée, Louisette Giroux disait à propos de ses conditions de travail rudimentaires : « Je m’initie à nouveau à la médecine de brousse. » (p. 50) La trentaine de maisonnettes habitées exclusivement par les Autochtones, surnommées en anglais « matchbox », lui semblaient « faciles à brûler » (p. 75). Née en Abitibi, l’auteur évoque son enfance abitibienne, les moments déterminants de sa vie, ses études en nursing, sa vocation d’infirmière et ses longs séjours dans ce que l’on appelait alors des régions isolées. À partir de son propre passé, elle décrit le choc culturel et l’interculturalité vécue au quotidien : « J’ai compris aussi que, pour ces gens vivant près de la nature, le temps et l’heure, connais pas ! » (p. 54) Ainsi, la perception de la promiscuité n’était alors pas la même. Habituellement, les Autochtones entraient chez elle sans frapper et sans parler, même durant les heures de repas, et ils s’installaient au salon sans rien dire. Ces pratiques, inimaginables pour une famille québécoise, étaient courantes et banales : « Pendant que nous étions à table, des gens passaient près de nous et se dirigeaient au salon, sans frapper à la porte. Les visiteurs ouvraient simplement et s’installaient comme bon leur semble. Stupéfaits, nous regardions ces gens, tout à coup propriétaires de notre intimité. » (p. 55) Le récit des pratiques quotidiennes des Autochtones est très précis (p. 54). C’est l’un des points forts de ce livre, un peu comme un polaroïd du Nouveau-Québec en 1970. La rédaction de ces mémoires remonte à il y a vingt ans, avant que les proches envisagent de les publier (p. 7). En filigrane, on saisit les mentalités et les attitudes de cette époque, du moins dans cette communauté, par exemple la confiance accordée par les Autochtones au savoir des Blancs, du moins en matière de santé. Et parfois. même si les Blancs n’étaient pas diplômés en médecine ou en soins infirmiers; le fait d’être Blancs semblait leur accorder automatiquement une sorte d’expertise en toute chose (p. 83). Dès le début, Louisette Giroux s’étonnait de cette situation. Ce qui fait d’abord l’intérêt de cet ouvrage, c’est sa valeur documentaire, sous forme de témoignage appuyé par des descriptions précises sur les coutumes, l’artisanat, la couture, les vêtements et les bottes, les soins apportés par les mères envers leurs enfants, la spiritualité autochtone. Par ailleurs, les ressources étaient limitées : il y a cinquante ans, tout était rudimentaire, à inventer. …