Comptes rendus

L’Attrapeur d’ombres : la vie épique d’Edward S. Curtis, Timothy Egan. Albin Michel, Paris, 2015, 448 p.[Notice]

  • François Girard

Vie d’aventurier, vie romanesque, parcours à la manière des pionniers de l’Ouest américain, tout semble réuni pour fabriquer un héros de western. À voir l’imposante douzaine de pages de sources pour appuyer ses écrits, l’auteur Timothy Egan, récipiendaire du prix Pulitzer en 2001 et éditorialiste au New York Times, semble pourtant être resté collé aux faits pour raconter le parcours hors normes du plus célèbre photographe d’Indiens de l’Amérique du Nord. Edward S. Curtis naît en 1868 à Whitewater au Wisconsin dans une famille modeste, deuxième enfant d’une fratrie de quatre. Il conserve de sa mère le patronyme de Sheriff. Le père, aumônier militaire pendant la guerre de Sécession, revient malade et faible, incapable de travailler. À douze ans, découvrant l’objectif rapporté de la zone de conflits par son paternel, Edward se fabrique un appareil photo, mais doit assez vite le mettre de côté pour aider la famille à survivre. Le jeune homme chasse, trappe et travaille très tôt à la construction de chemins de fer, mais il est mis à pied en 1887, et la famille est contrainte d’émigrer vers le futur État de Washington. Son frère aîné parti de la maison, Curtis, orphelin de père, devient le seul soutien familial. Pêcheur de mollusques, réparateur de charrues, cueilleur de fruits et bûcheron, tout est bon pour survivre. Mais à 22 ans, en convalescence après une chute qui l’affecte au dos, il décide d’hypothéquer la propriété familiale pour s’installer à Seattle comme photographe. C’est aussi pendant les mois où il reste cloué au lit qu’une voisine de six ans sa cadette lui rend plusieurs visites... Clara Phillips deviendra sa femme en 1892, et le mari désormais photographe-portraitiste est déjà célèbre trois ans plus tard. Autour de Seattle, dans les années 1897-1899, le paysage attire Curtis plus que les autochtones. Le mont Rainier, le plus haut sommet des États-Unis continentaux, devient le terrain familier du paysagiste. Il se transforme par la force des choses en guide et alpiniste chevronné. Il croise les membres d’une expédition scientifique en détresse sur les flancs enneigés et, grâce à ses compétences, il sauve quelques égarés et héberge le groupe à son refuge. Parmi la demi-douzaine d’hommes venus de l’Est américain, il se lie d’amitié avec George Bird Grinnell, fondateur de la Société Audubon, et avec Clint Merriam, un des fondateurs de la National Geographic Society. En 1899, ce dernier proposera à Curtis de se joindre, à titre de photographe, à une grande expédition scientifique en Alaska, financée par le magnat du rail Edward H. Harriman. À bord du navire, Harriman prête à Curtis le jouet dernier cri de son fils, un appareil enregistreur à cylindre de cire : dès l’escale suivante, Curtis part enregistrer un chant tlingit. L’expérience deviendra routinière lors de ses futures expéditions auprès des nations visitées dans toute l’Amérique du Nord. Ayant duré à peine deux mois, cette expédition a tout de même permis la prise de plus de 5000 photographies, dont plusieurs de Curtis, qui sont disponibles dans les archives numériques de l’Université de Washington (voir <http://content.lib.washington.edu/harrimanweb/index.html>). Au retour du navire qui accoste devant un village tlingit qui semble abandonné, quand Curtis et Grinnell se désolent du pillage « scientifique » des autres membres de l’équipage, ils déduisent que le mode de vie traditionnel des autochtones disparaît au gré des contacts avec la « civilisation » (p. 56) : il faut consigner, saisir, non plus les seuls objets, mais surtout les gestes marquants de leurs cultures avant qu’il ne soit trop tard. Grinnell, par ses nombreuses incursions à la recherche d’oiseaux, est devenu membre honoraire des Pieds-Noirs. Il …

Parties annexes