Pratiques et témoignages

Ce que j’ai appris du Nitassinan[Notice]

  • André Casault

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Les réflexions qui suivent se nourrissent des différentes expériences, principalement professionnelles, que j’ai eu l’occasion de vivre auprès des Innus et, plus récemment, auprès des Inuits. Vingt ans durant lesquels j’ai appris à connaître ceux et celles que nous appelons (maladroitement) aujourd’hui les autochtones. Ces expériences et ces réflexions prennent racine dans mes travaux précédents, réalisés en parallèle en Afrique (Guinée-Bissau et Sénégal), en Asie (Chine, Vietnam et Cambodge) et aussi dans ma vie de tous les jours. Ces réflexions sont aussi alimentées par mes lectures. Je nomme ici quelques auteurs qui, je crois, m’ont plus influencé que d’autres : N. John Habraken, pour sa façon d’analyser l’environnement bâti par une méthode à la fois simple et complexe ; Jared Diamond, pour le regard profond qu’il porte sur l’aventure humaine sur la planète et sa considération des facteurs ultimes ou de proximité ; Augustin Berque pour ce qui nous lie poétiquement à la Terre ; Hubert Reeves pour nous rappeler que nous sommes de la poussière d’étoiles ; François Jullien pour ses réflexions fort pertinentes sur l’interculturalité et l’universalité ; et bien autres encore… Mon métier, architecte, mais surtout professeur et chercheur dans une école d’architecture, m’a permis d’entrer dans un nombre assez impressionnant de maisons un peu partout sur la planète. Je dis souvent à mes étudiants qu’en tant qu’architectes, il nous est permis de voir des endroits dans une maison que peu de gens, même les amis intimes de la famille, ne verront jamais. Par exemple, pour vérifier la structure d’une maison, il faut voir la cave, chercher à voir l’état des murs de fondation, inspecter les solives de plancher ou encore ouvrir les garde-robes pour avoir accès à la trappe qui mène à l’entre-toit et y examiner l’état des chevrons ou des fermes du toit. On peut aussi regarder sous les éviers de cuisine ou les dessous de lavabo pour inspecter la plomberie. Banal, a priori ? Loin de là, car pour quelqu’un qui s’intéresse aux rapports que les humains entretiennent avec leurs maisons et à la place qu’elles occupent dans nos vies, ces endroits de la maison révèlent des dimensions de nos êtres, de la nature humaine, qui sont fort intéressantes, du moins aussi importantes que les choix esthétiques, fonctionnels, émotifs, etc., que nous prenons chaque jour dans ce lieu qu’est notre chez-soi. Je compare souvent cela à un médecin qui nous voit nus, nous examine la gorge, tâte nos dessous de bras, palpe notre estomac, écoute notre coeur… Tout cela enrichit le regard porté sur les nombreuses visites de maisons que j’ai effectuées dans les communautés innues. Ces visites relativisent et surtout mettent en perspective les paroles entendues et les gestes observés. Au cours des nombreux ateliers de design que j’ai donnés durant ces années (voir encadré), j’ai beaucoup appris en architecture, et en particulier ceci : De façon générale, tout au long de ces vingt dernières années, j’ai aussi appris : J’ai aussi souvent remarqué chez beaucoup d’entre eux que leurs yeux s’illuminent quand ils parlent des « territoires » – le Nitassinan. Au cours de ces vingt dernières années, mes contacts avec les Innus m’ont beaucoup fait réfléchir au nomadisme et à la sédentarisation et au rapport que nous entretenons avec le bâti en général, mais plus spécifiquement avec la maison. Dans l’introduction de son livre Évolution biologique évolution culturelle, paru en 2005, Luca Sforza-Cavalli nous rappelle que nous, les humains (Homo sapiens), avons passé la majorité de notre histoire en mode chasseur-cueilleur et que notre vie de sédentaire représente à peine 1 % de notre aventure sur la Terre. Ce que …

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