Vie et oeuvre de Rémi Savard

Lorsque Rémi Savard rédigeait un « Livre blanc »[Notice]

  • Pierre Trudel

…plus d’informations

  • Pierre Trudel
    Département de science politique, UQÀM, et Cégep du Vieux Montréal, Montréal

Après que j’eus effectué un terrain à la Baie James et à la Baie d’Hudson, c’est bien le professeur Savard qui a fini par donner un sens à mes études, lui qui, dans ses cours de maîtrise, donnait un sens à d’étranges récits innus tout en militant pour la souveraineté des peuples autochtones. Du sens à mes études, j’en avais bien besoin. Bien que « très intéressante », cette jeune discipline – d’à peine dix ans au Québec – ne menait pas clairement au pays de l’emploi. Le chemin semblait sinueux. Il fallait donc un modèle. Aujourd’hui, devenu professeur et amérindianiste et, depuis la crise d’Oka, commentant régulièrement l’actualité politique autochtone, je réalise que c’est aussi du sens de ma vie qu'il s’agissait ! L’anthropologie s’est développée au Québec en même temps que le mouvement souverainiste qui proposait au peuple québécois de posséder exclusivement « son » territoire. Comment concilier ce désir de possession exclusive du territoire national et l’exercice d’inscrire des milliers de toponymes amérindiens sur des cartes géographiques où n’apparaissaient, bien souvent, que lacs, rivières et courbes de niveau ? Comment concilier ce nouveau récit sur la souveraineté du territoire du Québec avec d’autres, millénaires, que l’on étudiait dans les cours de Rémi Savard ? Décidément, la question autochtone rendait difficile le passage du nationalisme « ethnique » au nationalisme québécois moderne et territorial. Des rapports amour-haine s’instaurent fréquemment lorsqu’il y a concurrence entre les nationalismes de libération. C’est ce que je veux illustrer dans ce court texte en rappelant l’épisode de l’élection du premier gouvernement du Parti québécois, le 16 novembre 1976. Ce gouvernement projetait, à la fois, de libérer le peuple québécois du Canada et de libérer les autochtones du Québec de la tutelle coloniale d’Ottawa. Ceux qui préparaient le premier référendum sur la souveraineté du Québec demandèrent à l’anthropologue Rémi Savard de rédiger la partie du Livre blanc sur le développement culturel qui porterait sur la question des autochtones. Comme on le verra, des passages de la politique proposée par Savard ont été retenus, d’autres ont clairement été rejetés. Notre professeur nous fit étudier les deux « versions », c’est-à-dire le texte original qu’il avait lui-même écrit, et l’autre, censuré au moyen de coupures et d’ajouts. Pour des étudiants contestataires des années 1970, quoi de plus palpitant que de prendre connaissance de la version censurée d’une politique gouvernementale ? On allait bientôt apercevoir une autre facette de la vraie nature du monstre qui nous gouvernait ! Posons comme hypothèse que coupures et ajouts s’expliquent par le fait que des avocats et des fonctionnaires gouvernementaux ont révisé un texte écrit par un professeur d’université qui employait un langage et avançait des positions qu’un gouvernement ne partage pas nécessairement ou ne tient pas, du moins pas immédiatement, à rendre publics. Tout le long du texte, on sent l’intention du professeur qui veut déjouer, sinon dénoncer, la tentation de résoudre le « problème indien » en l’enfermant dans une politique de développement culturel. Tout en convenant qu’un gouvernement doit décider lui-même du contenu de ses livres blancs, Rémi Savard indiquait qu’en comparant les deux versions, on pouvait voir comment l’État avait choisi d’éliminer certaines options (Savard 1979 : 161). Le fait d’inscrire la politique à l’égard des autochtones sous le signe de la culture signifiait-il que le gouvernement ne voyait en ceux-ci que des « groupes culturels » et voulait les enfermer dans cette définition ? Il faut revenir à la conception que certaines personnes, au sein de ce gouvernement, avaient alors de la politique en matière culturelle. Dans un récent ouvrage collectif paru sous sa direction, Jean-François …

Parties annexes