Dossier « Kanesatake/Oka : vingt ans après »

Oka, 20 ans déjà! Les origines lointaines et contemporaines de la crise[Notice]

  • Pierre Lepage

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  • Pierre Lepage
    Anthropologue

Ce texte est disponible sur Internet dans le supplément « Anniversaires historiques » de L’état du Québec 2010 (Institut du Nouveau Monde, Boréal, Montréal, p. 38-50, 2010). Nous le publions ici avec des ajouts et de légères corrections.

« Attentat au lac des deux-montagnes ». Attention de ne point s’y méprendre. Nous ne sommes pas le 11 juillet 1990 mais bien le 21 juin 1877. Voici ce que rapporte un journal hebdomadaire de l’époque, L’Opinion publique : Le 11 juillet 1990, aux petites heures du matin, la Sûreté du Québec lançait une opération policière dans la pinède d’Oka, à proximité du Club de golf, afin d’y déloger des protestataires mohawks qui s’opposaient au projet d’agrandissement d’un terrain de golf (projet d’agrandissement de neuf à dix-huit trous) et de construction de maisons de luxe dans son environnement immédiat. Le projet avait été autorisé et mis de l’avant par la municipalité du Village d’Oka. L’opération s’est soldée par la mort d’un policier, le caporal Marcel Lemay. Elle déclencha une crise majeure, hautement médiatisée, qui allait trouver son dénouement le 26 septembre suivant, à la suite de l’intervention de l’armée canadienne. Au cours de l’été 1990, l’anthropologue Serge Bouchard avait très bien résumé l’enflure médiatique qui a marqué cette triste période : « Nous le savions sur l’heure lorsqu’un Warrior (un guerrier amérindien masqué et armé) digérait mal son souper mais nous restions sur notre faim sur les enjeux inexpliqués. » (Bouchard 1990 : B-3) Au-delà de la mésentente sur l’agrandissement d’un golf et la construction de maisons de luxe, la crise d’Oka a, à n’en point douter, des origines lointaines. Les événements rapportés en introduction ne sont qu’une séquence d’un long et douloureux conflit opposant d’abord les Amérindiens d’Oka aux Messieurs de Saint-Sulpice relativement aux droits de propriété sur les terres de l’ancienne Seigneurie du Lac des Deux-Montagnes. À partir de 1945 les mésententes qui perdurent impliquent désormais le gouvernement fédéral devenu propriétaire des terres de la seigneurie qui n’avaient pas été vendues par les Sulpiciens et sur lesquelles étaient établies des familles mohawks. Voilà brièvement pour le volet historique. Mais la crise d’Oka était aussi une crise annoncée tant les relations police-communautés autochtones s’étaient détériorées durant les deux années ayant précédé la crise. Tentons d’y voir un peu plus clair. Pour comprendre la profondeur et la nature du litige relativement aux terres de la région d’Oka, il faut remonter jusqu’au Régime français, et même plus loin, selon la tradition orale mohawk. La Congrégation des pères de Saint Sulpice avait établi une mission au Fort de la Montagne, à Montréal, où étaient regroupés des Amérindiens de diverses nations, majoritairement des Mohawks. Dans le but de soustraire ces Amérindiens des mauvaises influences de la ville, les Sulpiciens les ont convaincus de quitter leur établissement de la Montagne pour la nouvelle mission du Sault-au-Récollet, située au nord de l’île de Montréal, en bordure de la rivière des Prairies. Un premier contingent quitte la Montagne en 1696 et le déménagement sera complété en 1704. Mais voilà que vingt ans à peine après leur arrivée au Sault-au-Récollet, les Sulpiciens doivent convaincre ces Amérindiens de déménager de nouveau, cette fois-ci au lac des Deux Montagnes, à un endroit stratégique situé à la sortie de la rivière des Outaouais. Il semble que ce soit là, en bonne partie, le noeud du problème. La tradition orale mohawk appuyée par plusieurs sources documentaires converge vers les promesses qui auraient été faites aux Amérindiens dans le but de les convaincre de déménager au lac des Deux Montagnes, promesses selon lesquelles ils auraient des terres bien à eux. Les Amérindiens qui avaient défriché et exploité des terres au Sault-au-Récollet ont accepté la proposition des Sulpiciens. C’est ainsi que le transfert vers la mission du Lac-des-Deux-Montagnes s’est réalisé au mois de février 1721, en plein hiver. Entre-temps, en 1717, le Séminaire …

Parties annexes