Regards français

« Cultures premières » : apports et tendances[Notice]

  • Joëlle Rostkowski

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  • Joëlle Rostkowski
    UNESCO/EHESS, Paris

Dans son ouvrage intitulé Au fondement des sociétés humaines, ce que nous apprend l’anthropologie, Maurice Godelier (2007) encourage le questionnement vis-à-vis d’une discipline qui peine à se remettre en cause, en dépit des critiques dont elle a fait l’objet de la part des autochtones. Godelier évoque les appels à une nouvelle anthropologie, à la déconstruction de l’ancienne, appels qui ont marqué les dernières décennies. Il souligne en particulier le rôle novateur d’oeuvres remarquables et singulières, notamment celles de Lyotard, Derrida, Foucault, Deleuze, Baudrillard, Ricoeur, dont « un corpus de citations, accolées pêle-mêle » (ibid. : 9), constitue désormais, aux États-Unis, la « French Theory ». Les points de vue sur l’anthropologie et l’ethnohistoire en Amérique du Nord sont nourris d’un certain nombre d’apports français, longtemps peu reconnus outre-atlantique du fait du regard éloigné qui les instruit mais mieux acceptés qu’il y a quelques décennies. De nombreux chercheurs européens contribuent aujourd’hui à faire progresser la recherche, à travers revues, colloques et publications ; ils parviennent aussi à faire revivre certains personnages du passé états-unien ou eurocanadien, en reconsidérant les relations entre ses principaux acteurs. L’excellent Radisson, Indien blanc, agent double, de l’écrivaine et journaliste Marie-Hélène Fraïssé (2008), participe de ce nouveau regard et éclaire une époque à travers le destin d’un homme. Il semble qu’une certaine spécificité française tienne au caractère interdisciplinaire des ouvrages et des institutions. L’anthropologie s’enrichit de l’apport d’autres disciplines : l’histoire, la littérature, la philosophie. L’exemple de Claude Lévi-Strauss, venu à l’anthropologie par la philosophie et dont la publication dans la Pléiade (Lévi-Strauss 2008) a mis encore une fois en lumière la qualité de grand écrivain, constitue un modèle incomparable. Un certain nombre d’anthropologues prennent des libertés par rapport au caractère essentiellement descriptif de l’ethnographie et parviennent à s’illustrer aussi par leur style. Des historiens franchissent les frontières de leur discipline et font oeuvre d’anthropologues ; des littéraires férus de cultures autochtones se font une place dans les études amérindiennes. Les institutions ne sont pas en reste devant ce brassage des disciplines et bousculent les anciennes catégories. Le musée du Quai Branly prend notoirement ses distances à l’égard du musée d’ethnographie classique et affirme un nouveau modèle, parfois décrié, souvent déconcertant (Mauzé et Rostkowski 2007). En dépit des critiques formulées par de nombreux anthropologues au moment de son ouverture, en juin 2006, ce musée se félicite d’être parvenu à stimuler l’intérêt du grand public pour les « cultures autres ». Dans un article du journal LeMonde, daté du jeudi 26 juin 2008, son directeur, Stéphane Martin, signale que le Musée a accueilli trois millions de visiteurs en deux ans et que son succès populaire tient surtout à ses « manifestations temporaires », très éclectiques (expositions, concerts, spectacles) [de Roux 2008]. On constate par ailleurs que la visibilité médiatique du Musée et des « arts premiers » contribue à aiguiser l’intérêt spéculatif des collectionneurs, tout particulièrement pour l’art inuit et l’art de la Colombie-Britannique, aujourd’hui très prisés sur le marché international et volontiers présentés sur le marché de l’art parisien. Dans un ouvrage intitulé Apparences trompeuses, consacré à l’art inuit, Giulia Bogliolo Bruna, d’origine italienne mais chercheure à Paris, s’interroge sur la spécificité de l’art inuit et sur l’engouement qu’il suscite parmi les Européens. Dans la préface à cet ouvrage, Jean Malaurie, rendant hommage à la culture italienne, renvoie aux écrits de Virgile et d’Ovide (Les Métamorphoses) qui, sans traiter de l’Arctique, offrent une lecture magistrale des concepts fondamentaux, notamment de celui de transformation, si prégnant dans l’art de la Colombie-Britannique et l’art inuit. Giulia Bogliolo Bruna développe l’argument selon lequel …

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