Recensions

Le siècle du populisme, de Pierre Rosanvallon, Paris, Seuil, 2020, 288 p.[Notice]

  • Djamila Mones

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L’ouvrage récent de Pierre Rosanvallon, Le siècle du populisme, se propose de plonger dans un champ d’études longtemps « cacophonique », où les confusions sémantiques comme les désaccords théoriques abondent : le champ d’analyse sociopolitique du populisme. Si de nombreux ouvrages sont parus sur cette question dans la dernière décennie, l’auteur ne s’appuie que très peu sur cette littérature. En partant du postulat que le phénomène du populisme n’a pas encore été véritablement pensé, Rosanvallon se donne pour projet de comprendre le populisme comme une idéologie cohérente, marquée d’une certaine vision de la démocratie, de la société, de l’économie. Il s’essaie à une théorie du populisme, reconnu comme une idéologie, de manière à consolider sa critique sur le terrain de la théorie démocratique et sociale. Rappelons que Rosanvallon est marqué par son double engagement syndical et en tant qu’historien, animateur des groupes de discussion la « Fondation Saint-Simon » et la « République des idées », puis du magazine La vie des idées, deux pôles d’analyse et d’information sur de grands débats intellectuels contemporains. Enfin, ce qui n’est pas anodin, il a entrepris depuis 2001 un travail théorique imposant sur les mutations de la démocratie contemporaine. L’ouvrage se découpe en trois parties : une description de l’anatomie du populisme ; une présentation de l’histoire de « moments » populistes, à laquelle il adjoint une section utile sur l’articulation du populisme à la démocratie moderne ; une critique des fondements du populisme ; et, pour conclure, plusieurs propositions de réponse (politique) aux populismes. L’introduction de l’ouvrage revient classiquement sur les lacunes des théories actuelles du populisme, « mot caoutchouc », à l’emploi désordonné. Il manquerait un véritable travail de conceptualisation, les populismes n’étant pas saisis « dans leur pleine dimension de culture politique originale qui est en train de redéfinir notre cartographie politique ». L’anatomie du populisme est d’abord celle de ses éléments constitutifs, celle d’une culture politique populiste. Celle-ci tient à une certaine conception du peuple (le « peuple-un »). Elle suppose une certaine théorie de la démocratie directe, privilégiant les référendums, le rejet des corps intermédiaires, fonctionnellement ou moralement illégitimes ; et la domestication des institutions non élues – qu’il s’agisse des cours constitutionnelles ou des autorités indépendantes de contrôle : on s’opposera ainsi à un gouvernement des juges ou à une « juridictature ». C’est une démocratie polarisée qui est au coeur de l’idéal-type populiste, contre les théories de l’argumentation et de la délibération. Qu’il s’agisse de Rousseau ou de Schmitt, les sources intellectuelles de cette perception de la démocratie sont largement abordées. Les modes de représentation sont marqués par la notion d’« homme-peuple », incarnant ce dernier tout entier. Rosanvallon insiste enfin sur l’économie politique du populisme, ce qu’il nomme « national-protectionnisme ». Le point le plus riche de ce premier chapitre est l’invitation à considérer les régimes d’affects auxquels s’adosse la culture politique populiste. Partant de l’idée selon laquelle « ce qui pousse les gens à agir, ce sont les affects » (Mouffe), Rosanvallon souligne que les populismes mobilisent stratégiquement les émotions – de position (sentiment d’abandon, d’être méprisé), d’intellection (restauration d’une lisibilité du monde), d’action (dégagisme). La seconde partie du livre se penche sur trois « moments » populistes. D’abord, le césarisme et la démocratie illibérale en France, le Second Empire se présentant comme l’expression d’un culte du suffrage universel et du référendum. Ensuite, la période 1890-1914 en Europe, qui voit la montée en puissance des thèmes populistes dans les cultures politiques française, allemande, britannique, américaine ; la période étant marquée par de « nouveaux imaginaires » démocratiques et sociaux, …