Recensions

Sous la dir. d’Antoine Pécoud et Paul de Guchteneire, Migrations sans frontières, Paris, Éditions UNESCO, Coll. « Études en sciences sociales », 2009, 383 p.[Notice]

  • Martin Provencher

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Qu’est-ce que des politiques migratoires justes ? Au lieu de répondre directement à cette question, les directeurs de cet ouvrage nous proposent un outil pour imaginer à quoi elles pourraient ressembler, le scénario migrations sans frontières (MSF), qu’ils ont demandé à différents experts d’évaluer d’un point de vue à la fois théorique et empirique. Leurs conclusions, divisées en deux parties et réparties en douze chapitres, permettent de jeter un regard critique et nuancé sur les aspects de la condition humaine les plus susceptibles d’être affectés par la mise en oeuvre de ce scénario. Elles sont précédées par un chapitre de synthèse remarquable des directeurs dans lequel les points communs et les divergences des contributeurs sont présentés et rassemblés autour de quatre thèmes principaux : les droits de l’homme et l’éthique, l’économie, la vie sociale et la pratique concrète, à savoir les tentatives politiques d’implanter le scénario MSF dans les différentes régions du monde. Partant du constat que les tentatives des États de contrôler les flux migratoires échouent régulièrement, qu’elles s’accompagnent de coûts humains et financiers énormes et qu’elles sont souvent en contradiction avec les valeurs des régimes démocratiques libéraux, la question de fond que pose cet ouvrage est celle de la reconnaissance d’un droit humain universel à la mobilité. Qu’arriverait-il si les États à travers le monde ouvraient leurs frontières et accordaient à tous les individus le droit de circuler librement ? Cela impliquerait d’abord la possibilité de corriger l’asymétrie actuelle, inscrite dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, entre le droit d’émigrer, reconnu par l’article 13.2, et le droit d’immigrer, qui ne fait l’objet d’aucun article. Des raisons morales de justice pourraient alors être invoquées pour inciter les États à compléter les droits de l’homme, notamment le fait que la mobilité des individus dépend encore des circonstances arbitraires de leur naissance, de la demande des États pour leurs qualifications et de l’inégale répartition des richesses entre les pays. Ces raisons nous conduiraient ensuite à remettre en question la légitimité même des contrôles frontaliers et à reconnaître que « dans un monde de flux, la mobilité est une ressource centrale à laquelle tous les êtres humains devraient avoir accès » (p. 26). Les droits de l’homme gagneraient ainsi en cohérence puisque le droit des individus de choisir leur emploi (art. 23) et celui d’avoir un niveau de vie suffisant (art. 25) pourraient recevoir un contenu substantiel. Dans cette perspective, la reconnaissance d’un droit universel des individus à la mobilité serait donc appelée et justifiée par la logique inhérente aux droits de l’homme déjà reconnus par les États. C’est sans conteste aux niveaux suivants, ceux de l’économie et de la politique, que les choses se corsent. Il est en effet difficile d’établir avec certitude d’un point de vue empirique que l’immigration profite économiquement aux pays d’origine et aux sociétés d’accueil, car les conclusions des contributeurs sont partagées. En revanche, il semble établi que les immigrants ne nuisent pas au bien-être des travailleurs peu qualifiés dans les sociétés d’accueil. On observe une complexité similaire à l’échelle internationale. Les économistes classiques et ceux qui s’en inspirent estiment que le scénario MSF permettrait de stimuler le développement des pays pauvres et, par conséquent, de réduire la pauvreté mondiale. Mais confier ainsi aux forces du marché la tâche de résoudre le problème de la redistribution des richesses à l’heure de la mondialisation exposerait selon leurs opposants « les plus pauvres parmi les pauvres » à une injustice encore plus grande, celle de ne pas pouvoir migrer en raison de leur manque de compétences minimales, sans compter que les personnes ne circulent pas aussi facilement …

Parties annexes