Recensions

Tracer les marges de la cité. Étranger, immigrant et État au Québec 1627-1981, de Martin Pâquet, Montréal, Boréal, 2005, 328 p.[Notice]

  • Chedly Belkhodja

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  • Chedly Belkhodja
    Université de Moncton

Dans de nombreux travaux, l’immigration est réduite à une dynamique historique du xxe siècle établissant le constat de l’accroissement des flux migratoires entre l’Europe et le continent nord-américain. L’intérêt du travail de Martin Pâquet est de proposer une analyse enrichissante du mouvement migratoire et de la transformation de la culture historique d’une nouvelle société en Amérique. L’ouvrage présente le processus d’immigration au Québec, notamment les dynamiques de longue durée d’intégration et de mise à distance de l’Autre au coeur de la construction d’une pensée d’État, c’est-à-dire la représentation de ce qui est autre à la communauté politique d’origine. En citant cette belle phrase du sociologue algérien Abdelmalek Sayad, « Penser l’immigration, c’est penser l’État », M. Pâquet souligne que le processus d’immigration se lie étroitement à la définition de l’étranger dans le processus de construction historique d’une pensée de l’État. D’un point de vue historique, ce développement de l’État connaît plusieurs étapes, de l’acte de fondation de la Compagnie des Cent-Associés en 1627 à la mise sur pied du ministère des Communautés culturelles et de l’Immigration en 1981. Au fond, faire l’histoire du processus de construction étatique, c’est voir comment l’État définit la figure de l’étranger et de l’immigrant à son avantage, mais c’est aussi comprendre la dynamique du rapport entre le Soi et l’Autre. La thèse principale de l’ouvrage repose sur la construction-déconstruction de la marge au coeur du processus d’intégration étatique. En dépassant les études strictement limitées à l’immigration, la démarche de l’auteur se veut plus « englobante ». Il s’agit d’explorer les « sédiments du temps », de revenir au fondement de la colonie française d’Amérique, afin de fixer le rapport entre l’individu « élu » et l’Autre, l’étranger, c’est-à-dire celui qui se trouve à la marge. L’auteur analyse trois arrangements étatiques qui établissent la relation entre le centre et la marge. Premièrement, la cosmogonie théologico-politique fige le rapport entre le sujet du roi et l’Autre autour de deux principes, soit la sujétion au roi et la catholicité. Deuxièmement, la communauté organique fixe le rôle de l’immigrant dans un corps constitué de parties bien ordonnées : à la fin du xixe siècle, cette distinction s’établit principalement sur le principe sanitaire. Troisièmement, la communauté contractuelle propose une extension de la reconnaissance de l’immigrant en tant que citoyen ayant des droits et des libertés dans une société pluraliste. Au début de la colonisation, l’étranger reste une catégorie assez marginale, parfois toléré par son appui au développement économique du territoire, mais le plus souvent négligé par les acteurs politiques de la colonie. L’étranger fait un peu de figuration, mais ne se retrouve pas au devant de la scène. Cependant, l’expérience de la colonie bouleverse le cadre de vie des individus, d’une société d’origine cloisonnée à une société plus ouverte par l’expérience du déplacement, de l’éloignement du terroir et d’une plus grande ouverture aux libertés. Il faut tout de même considérer le processus d’institutionnalisation du politique, qui se fait à partir du modèle français très hiérarchique, bâti autour de la légitimité du souverain. Après les traités de Westphalie (1648), l’État devient un agent de nivellement et de normalisation. Il fixe les frontières du territoire, mais également les règles de comportement à adopter à l’égard de la figure du pouvoir. Se dessine alors une division entre le sujet et l’étranger, que M. Pâquet dégage par une analyse des documents écrits par les acteurs étatiques. Dès l’Acte de fondation de la Compagnie des Cent-Associés de 1627, le sujet se voit attribuer une légitimité en raison de certaines caractéristiques essentielles, notamment des parents français, la fidélité au roi et la foi. Le …