Recensions

La Révolution québécoise : Hubert Aquin et Gaston Miron au tournant des années soixante de Jean-Christian Pleau, Montréal, Fides, 2002, 270 p.[Notice]

  • François Charbonneau

…plus d’informations

  • François Charbonneau
    Université d’Ottawa

Le livre de Jean-Christian Pleau est consacré à cette révolution qui n’a pas eu lieu. L’affirmation peut laisser perplexe : le Québec moderne n’est-il pas justement le fruit d’une révolution, tranquille soit, mais révolution tout de même, qui l’a extirpé de cette désormais mythique Grande Noirceur ? Sans doute. Mais, nous rappelle fort justement J.-C. Pleau, ceux qui appelèrent de leurs voeux cette révolution souhaitaient qu’elle soit tout sauf tranquille. Pour cette extrême gauche indépendantiste québécoise des années 1960, la lutte pour la libération nationale s’inscrivait dans un mouvement planétaire de décolonisation. « Nègres blancs », ces jeunes Québécois se sont reconnus dans les appels des Albert Memmi et autres Frantz Fanon à dépasser dialectiquement leur aliénation de dominés par une lutte violente, non seulement salvatrice, mais nécessaire, dirigée contre la domination. La révolution espérée devait être celle d’un soulèvement général du prolétariat, la mise sur pied d’un régime politique socialiste et, il va sans dire, l’indépendance du Québec. C’est à cette révolution manquée, donc, que s’intéresse J.-C. Pleau à travers certains écrits de deux militants de premier plan de cette époque agitée. Après la chute du mur de Berlin, d’aucuns lecteurs de ces phrases au vocabulaire marxisant galvaudé pousseront sans doute un soupir de soulagement à la pensée que cette révolution, justement, ne s’est pas produite. L’on sait maintenant que quand l’Histoire se fait l’unique pourvoyeur de sens de l’action humaine, tout, du meilleur comme du pire, trouve à se justifier en son nom. Armés de cette supériorité morale que confère l’apostériorité de la faillite du matérialisme dialectique et rejetant comme dépassée la dichotomie dominant/dominé pour comprendre le rapport Canada/Québec, certains commentateurs contemporains de l’oeuvre de ces révolutionnaires ont souhaité supprimer de leur contenu tout référent à la lutte politique dans laquelle elles ont pourtant été conçues. Un exemple parmi d’autres : le retrait des textes en prose (la part éminemment politique de l’ouvrage) dans l’édition posthume de L’homme rapaillé de G. Miron. Si ce travail de dépolitisation des oeuvres d’H. Aquin et de G. Miron a eu le mérite d’en révéler le caractère éminemment universel, le risque est grand que soient du même coup rendues inintelligibles les raisons mêmes de leur action et, a fortiori les oeuvres elles-mêmes. Et puis, dans la perspective de J.-C. Pleau, un large pan des problèmes énoncés par H. Aquin et G. Miron demeure d’une brûlante actualité. Paradoxalement, donc, si la dimension politique de l’oeuvre de ces deux révolutionnaires québécois tendait autrefois à éclipser le reste, force est de constater qu’aujourd’hui, c’est l’inverse qui est vrai. Pour saisir « en situation » (p. 10) la pensée politique de ces deux écrivains, J.-C. Pleau a choisi d’étudier, pour chacun des auteurs, un texte déterminant publié au début des années 1960. Dans le cas d’H. Aquin, c’est l’essai désormais célèbre La fatigue culturelle du Canada français paru dans l’édition de mai 1962 de la revue Liberté qui s’est évidemment imposé comme sujet d’analyse. On le sait, ce texte se voulait une réponse à celui de Pierre E. Trudeau, La nouvelle trahison des clercs (paru dans le numéro spécial de Cité libre d’avril 1962 consacré au séparatisme). Quant à Gaston Miron, c’est le poème L’homme agonique, dans toutes ses variantes depuis sa première publication sous le titre d’Ex Officio, qui est scruté à la loupe. Mais cette présentation sommaire ne rend pas compte des fins de l’entreprise de J.-C. Pleau, en ce sens que l’analyse des textes, érudite précisons-le, n’est pas véritablement un objectif en soi. Ces textes jouent chacun le rôle de cheval de Troie permettant à J.-C. Pleau de pénétrer …