Recensions

Democracy and the Foreigner, de Bonnie Honig, Princeton, Princeton University Press, 2001, 204 p.[Notice]

  • Marc G. Doucet

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  • Marc G. Doucet
    St. Mary’s University

Dans les récits de la démocratie moderne que l’on trouve tant dans la culture populaire que dans les grands ouvrages de pensée politique, on aperçoit souvent la figure d’un étranger, d’un être qui n’est pas de « chez nous ». Quel travail symbolique « l’étrangeté de l’étranger » accomplit-elle pour la fondation, le renouvellement et l’entretien du régime démocratique? Y aurait-il dans ce travail symbolique une aporie capable d’ouvrir la voie à la constitution d’une démocratie « dé-nationalisée » et cosmopolite, jusqu’ici empêchée d’éclore par l’association de la démocratie au nationalisme alimenté par l’État? Telles sont les questions tout à fait judicieuses qu’aborde Bonnie Honig dans son ouvrage. La problématique qu’elle a choisie renvoie à une question incontournable, mais aussi insoluble et donc aporétique, posée par un régime qui prétend faire reposer l’autorité et la loi sur une autofondation : Si nous sommes tous égaux devant la loi, qui parmi nous pourrait s’élever pour l’écrire et l’énoncer? Autrement dit, comment énoncer la loi en évitant une contestation qui risque toujours de l’ébranler? Selon B. Honig, le rôle joué par l’étranger dans les récits de la démocratie moderne vise justement à solutionner ce problème. L’étranger agit comme deus ex machina qui met fin à l’impossibilité de l’autofondation constitutive du régime démocratique. Il incarne l’hétéronomie et l’aliénation de la loi, et il offre une issue symbolique à l’aporie suscitée par la tentative de fonder la souveraineté sur un assemblage de citoyens égaux. Un des attraits de l’ouvrage de B. Honig tient à l’originalité des exemples qu’elle donne. Entre autres, elle s’inspire des films westerns américains afin d’examiner le rôle que joue l’étranger dans les récits populaires concernant la démocratie. L’auteure note que le scénario des westerns prévoit généralement l’arrivée fortuite d’un étranger venu rétablir l’ordre et la primauté de la loi dans une communauté incapable de le faire par elle-même et qui repart sans tarder dès que son travail est accompli. C’est le cas du film Shane (1953) dans lequel le héros, Shane, un cowboy inconnu venu de nulle part, sauve les colons d’une attaque de hors-la-loi, permettant ainsi la restauration de l’ordre et de la paix. À la fin, il quitte volontairement, évacuant de la scène l’hétéronomie de la loi qu’il symbolise et redonnant du même souffle à la communauté ravivée l’autonomie qu’il lui faut pour accéder à l’imaginaire démocratique. L’auteure ajoute que la bonne volonté de l’étranger et sa contribution à la communauté ne s’arrêtent pas là. En incitant les hommes de la communauté à se défendre contre les malfaiteurs et en obligeant les femmes à s’inquiéter pour leur mari, Shane refonde la famille et les rôles sexués qui la sous-tendent. Le travail de (re) fondation accompli par l’étranger opère donc sur plusieurs registres qui servent à reconstruire des récits d’identité collective qui accompagnent l’imaginaire de la communauté démocratique idéale. B. Honig utilise également le fameux Wizard of Oz (1939) et le film australien moins connu Strictly Ballroom (1993) afin d’illustrer le rapport entre l’altérité et les récits populaires concernant la démocratie. Dans le cas de Wizard of Oz, Dorothy, l’étrangère, qui tombe littéralement d’un lieu autre, finit par rétablir la gouverne démocratique pour les citoyens d’Oz, les Munchkins. Avec l’aide de ses compagnons, l’épouvantail, le lion et l’homme de fer, elle réussit non seulement à vaincre les vilaines vieilles sorcières qui terrorisent les citoyens d’Oz, mais elle renverse aussi le magicien, qui incarne le dictateur débile mimant la monarchie corrompue de l’Ancien régime et qui succombe inévitablement aux forces démocratiques. Après avoir rétabli la souveraineté populaire des Munchkins, Dorothy retourne chez elle, au Kansas, et laisse les citoyens …