Présentation : Sémiotique et bouddhisme. Quelques repères[Notice]

  • Louis Hébert

Au premier abord, on pourrait voir dans le thème proposé une exploitation mécanique de la capacité du « et » de conjoindre toutes choses. Mais le bouddhisme et la sémiotique se relient de plusieurs manières fortes, parfois inattendues. Et si certains de ces liens pertinents ont commencé d’être explorés, la plupart restent encore à dégager. Toute religion se pose la question du sens, immanent et transcendant, et par là pose des questions sémiotiques, définit des structures du signe, des typologies des sens, des processus et critères interprétatifs, etc. Il est donc une sémiotique bouddhiste comme il est, par exemple, une sémiotique chrétienne. En fait, puisque le bouddhisme est particulièrement protéiforme, il est de nombreuses sémiotiques bouddhistes. Par exemple, pour prendre simplement le problème de la référence : Les religions sont également des objets sémiotiques, parmi d’autres. Parmi d’autres mais, également, plus que d’autres, pour ainsi dire : elles sont, pour le meilleur et pour le pire, au fondement des cultures, même de celles qui, comme l’occidentale, réévaluent et parfois rejettent leur héritage religieux. L’étude des religions peut bien sûr porter sur les objets qu’elles produisent – textes, images, sculptures, monuments, livres, rituels, concepts, etc. – ou sur les performances qui les concrétisent. L’étude des textes religieux est assurément la plus répandue et la plus avancée. L’étude sémiotique des textes chrétiens est courante et déjà ancienne. Il n’est que de penser aux travaux du Centre pour l’analyse du discours religieux (Cadir, Université de Lyon) qui, malgré son nom, s’intéresse exclusivement aux lectures sémiotiques de la Bible. La revue qu’il anime, Sémiotique et Bible, est publiée depuis 1975. Au Québec, pensons au groupe Aster (Analyse sémiotique des textes religieux). L’étude sémiotique des textes bouddhistes et, même plus largement, du bouddhisme sous quelque aspect que ce soit, reste, quant à elle, embryonnaire. Parmi les chercheurs pionniers, on trouve Roland Barthes (1970), François Rastier (2006) et, surtout, Fabio Rambelli. Ce dernier, actif dans le monde anglophone et italophone, s’avère, à notre connaissance, le seul sémioticien qui se consacre essentiellement à l’étude du bouddhisme. C’est dire que le dossier que nous proposons permettra de baliser quelque peu une terre quasi vierge, particulièrement pour ce qui est du monde francophone. Plus fondamentaux et plus étonnants sont les liens entre le bouddhisme et la sémiotique de Saussure et, conséquemment, les sémiotiques saussuriennes, de Hjelmlsev à Rastier : Barthes, quant à lui, a donné une interprétation proprement sémiotique de concepts bouddhistes et « a contribué à la problématisation sémiotique de concepts, tels la vacuité et l’éveil, généralement envisagés d’un point de vue religieux » (Rambelli, texte en ligne ; notre traduction) . D’autres auteurs non seulement se laissent influencer par le bouddhisme, mais produisent des syncrétismes en mélangeant concepts bouddhistes et sémiotiques. C’est ainsi que Il existe également quelques liens entre la sémiotique et le bouddhisme qui proviennent d’une similitude plus aléatoire. On pourrait mentionner l’étonnante ressemblance  – mais on sait que le simple hasard est l’un des plus grands pourvoyeurs de ressemblances –  entre, respectivement, d’une part, priméité et secondéité de Peirce et, d’autre part, dans le bouddhisme, pensée non dualiste (le type de pensée auquel aspire le pratiquant) et pensée dualiste (le type de pensée ordinaire, qui mène à la confusion et donc à la création du saṃsa̅ra, c’est-à-dire à l’insatisfaction). Quant à nous, nous avons montré (Hébert, à paraître) les ressemblances et différences entre le carré sémiotique, le tétralemme des Grecs anciens et le catuşkoţi bouddhiste systématisé par Na̅ga̅rjuna. Ces derniers liens ne sont pas qu’aléatoires, puisque le carré sémiotique est partiellement dérivé du tétralemme et qu’Aristote connaît « parfaitement le tétralemme sinon …

Parties annexes