Volume 37, numéro 1, printemps 2009 Corps photographiques / Corps politiques Sous la direction de Alexis Lussier et François Soulages
Sommaire (9 articles)
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Présentation : corps photographiques / corps politiques
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Le spectacle du corps à l’ère d’Internet : entre virtualité et banalité
Bertrand Gervais et Mariève Desjardins
p. 9–23
RésuméFR :
L'importance de plus en plus grande accordée à l'image, fixe ou animée, surdétermine une représentation de plus en plus explicite du corps. Or, le numérique et le cyberespace n'ont rien fait pour atténuer cette adéquation. Au contraire, le régime de l'image et du regard y est même entré dans une nouvelle mutation : à l'accessibilité sans fin d'Internet correspond une surabondance, une surexposition du corps érotisé. Dans le contexte, il devient important d'analyser la présence du corps sur Internet et, plus précisément, du corps dénudé tel qu'il est photographié et mis en scène sur ce support numérique. Pour en rendre compte, notre attention s'est portée sur cinq œuvres (tirées de l'exposition virtuelle Le Nu, organisée par Incident.net). Elles permettent d'illustrer certains des éléments fondamentaux de la représentation numérique, ainsi que les jeux auxquels ils donnent lieu : ce sont la nature pixellisée des photographies, leur transmission par un réseau, le traitement numérique qu'elles peuvent subir, l'interactivité qu'elles mettent en jeu et, de manière plus globale, la multiplicité de l'offre. Les œuvres choisies permettent d'examiner les conditions d'une présence du corps sur Internet et offrent un regard critique sur un aspect singulier de notre imaginaire contemporain, à savoir la prépondérance du corps et de ses fictions.
EN :
Values put on images in the XXth century have brought about an increasingly explicit representation of the body. And the development of Internet has not attenuated this correlation. On the contrary, the importance of images has taken a whole new meaning with the world wide web: to the endless accessibility of Internet corresponds a superabundance, an over-exposure of the erotized body. In the context, it becomes important to analyze the presence of the body on Internet and more precisely of the naked body, as it is photographed and especially uploaded on the Internet. To exemplify this relationship, we will analyze five examples of Net or hypermedia art, drawn from the virtual exhibition Le Nu, posted on Incident.net. These examples make it possible to illustrate some of the basic elements of digital representation: the pixellized nature of the photographs, their transmission by a network, the digital processing which they can undergo, the interactivity they bring into play and, on a larger scale, their extensive presence
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Sexualité et photographie : transgression féministe et ratification de la norme pornographique comme pratique artistique
Julie Lavigne
p. 25–34
RésuméFR :
Il est difficile de nier l’impact de la pornographie sur la représentation du corps nu en photographie commerciale comme artistique. L’importance croissante de l’industrie pornographique et de la pornographie amateur depuis l’avènement d’Internet influe indéniablement sur la représentation du corps sexué. Depuis une quinzaine d’années, presque toutes les représentations de la sexualité en arts visuels montrent des traits ou utilisent des stratégies propres à la pornographie. Certaines productions, comme celles de Natacha Merritt, brouillent les frontières entre l’art et la pornographie au point de rendre caduques toutes distinctions. D’autres productions, comme celles de Elinor Carucci ou de Geneviève Cadieux, préféreront présenter littéralement le hors-champ de la pornographie. Dans les deux cas, la présence de cette dernière est indéniable et confirme qu’elle agit à titre de nouvelle norme dans la représentation de la sexualité. En repoussant également l’horizon d’attente des photographies à caractère sexuel, la pratique qui se réfère à la pornographie se permet d’aborder le corps sans compromis et sans pudeur. L’article se propose donc d’analyser comment natacha02_t de Natacha Merritt, Making Love d’Elinor Carucci, et Loin de moi, et près du lointain de Geneviève Cadieux interprètent les codes pornographiques et la signification des écarts qu’elles effectuent vis-à-vis de la norme sexuelle instituée par l’industrie.
EN :
The increased prominence of the pornography industry, as well as the growth of amateur pornography as it is channeled through the Internet has certainly influenced the representation of the sexual body. For the past fifteen years or so, almost all the representation of sexuality in visual arts have exhibited features or have employed strategies typical of pornography. Some of these productions, the work of Natacha Merritt, for example, blur the frontiers between art and pornography to a point where distinctions are almost impossible to discern. Other work, from artists such as Elinor Carucci or Geneviève Cadieux, present the off-camera aspects of pornography. In both cases, the presence of pornography is undeniable and confirms that it acts as the basis of a new normative representation of sexuality. Moreover, by further pushing the expectations of sexual photography through the practice of linking it with pornography, these works tackle the body with no compromise and no modesty. This article analyses the extent to which natacha02_t by Natacha Merritt, Making Love, by Elinor Carucci and Loin de moi, et près du lointain by Geneviève Cadieux adopt and diverge from the pornographic codes and meanings vis-à-vis the sexual norms employed by the industry.
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L’Enfer de James Nachtwey : protocole pour une photographie compassionnelle
Vincent Lavoie
p. 35–45
RésuméFR :
Le photojournaliste est un personnage dépourvu d’éthique. L’une des raisons habituellement invoquées pour justifier cette opinion tient à la diffusion non autorisée d’images d’accidents de voiture, d’incendies et autres désastres. La production et la publication d’images inconvenantes au regard des personnes directement affectées par le drame est jugée contraire à l’éthique. Mais la raison économique l’emporte sous la pression d’un vaste marché qui ne cesse de réclamer semblables images. Le caractère public des informations entre en conflit avec la dimension privée de la peine éprouvée par les proches et les victimes d’une tragédie. Si le drame est ressenti comme une affaire privée, sa gravité, elle, justifie son passage dans la sphère publique. En prenant appui sur les travaux du photographe américain James Nachtwey, nous proposons d’étudier ce paradoxe que le photojournalisme tente de justifier éthiquement.
EN :
Photojournalists have no ethics. One reason for this has to do with the unauthorized distribution of pictures of car accidents, fires, and other disasters. The production and publication of photographs that are unseemly with regard to the people directly affected by the tragedy are deemed unethical. But economic motives win out under the pressure of a huge market that constantly clamours for such images. The public nature of the news conflicts with the private dimension of the pain felt by the victims of a tragedy and their relatives – a tragedy that is felt to be a private affair, but is serious enough to justify its entering the public sphere. With American photographer James Nachtwey’s work as an example, this paper aims to investigate this paradox that photojournalism tries to justify ethically.
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Apparaître et leurrer
Sylvain Campeau
p. 47–58
RésuméFR :
Le présent texte appuie son argumentation sur deux présomptions : à savoir, en premier lieu, que la photographie se prêterait d’emblée au politique, ici entendu comme l’ensemble des rapports de pouvoir qui rendent possible l’image, et, en second lieu, que le corps se prête lui aussi aux figures du politique. Se référant à une position qui comprend l’image dans l’amont de sa préparation, fondée sur l’intentionnalité de l’artiste, l’auteur analyse le cas de l’image connue d’Hippolyte Bayard, Autoportrait en noyé, en plus d’étudier celles des artistes contemporains Rafael Goldchain, Geneviève Cadieux, Chuck Samuels, Evergon, Alexandre Castonguay et Pascal Grandmaison. Au fil des réflexions où l’autoportrait apparaît comme le mode quasi ontologique de la photographie, l’auteur en vient à cerner un pouvoir confondant de la photographie contemporaine, fondée sur le retournement et le leurre.
EN :
The present text develops is argumentation on the basis of two presumptions. The first one is that photography takes part right away in politics, here understood as all the relations of power making the image possible, and, secondly, that the body also takes part in figures of politics. Referring to a position which includes the picture in its preparation, founded on the intentions of the artist, the author analyses the case of a well known picture created by Hippolyte Bayard, Autoportrait en noyé, besides studying those of such contemporary artists as Rafael Goldchain, Geneviève Cadieux, Chuck Samuels, Evergon, Alexandre Castonguay and Pascal Grandmaison. In the course of a reflexion where the self-portrait appears as the quasi ontological mode of photography, the author comes to identify a staggering contemporary power of photography, founded on subversion and decoy.
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Le spectre de la parenté : images génériques et politique de l’hérédité d’après Francis Galton
Alexis Lussier
p. 59–66
RésuméFR :
Les « portraits composites » de Francis Galton (1822-1911) consistaient à surimposer, les uns sur les autres, plusieurs portraits pour dégager, selon lui, le « type » du visage criminel avant « que les traits du visage soient brutalisés par le crime ». Que serait donc un visage criminel auquel il ne manque plus que le crime ? Position d’autant plus étonnante que Galton finit par admettre que l’infamie du visage réside dans chacun des visages photographiés et que l’humanité n’appartient qu’au « type » qui, en l’occurrence, n’existe que par la photographie et dans la photographie. Il s’agit dans cet article de reprendre, à travers une lecture de certains des textes que Galton a consacrés à la photographie, une théorie spécifique de l’image qui repose essentiellement sur un discours moral et politique touchant à l’hérédité des familles.
EN :
The “ composites portraits ” of Francis Galton (1822-1911) were a superimposition of many different portraits in order to reveal a « type » for the criminal face before, as Galton maintains, “the features have become brutalized by crime”. What would a criminal face look like when all that is missing is the crime? A strange point of view, one could say, because Galton finally admits that the infamy of the face is maintained in each photographed face and therefore the humanity features belong to the “type” which by the way exist exclusively in its photographic status and in the matter called photography. In this article we see, after reading Galton’s texts concerning those photographs, how Galton elaborates a specific theory of the image that lies essentially on a discourse based on moral and political values influenced by family heredity.
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Le temps photographique de Pierre Perrault : l’ombre du corps absent
Stéphane Inkel
p. 67–75
RésuméFR :
Il s’agira dans cet article de confronter les photographies de Pierre Perrault, dans Le Mal du Nord, à l’évolution de l’image cinématographique du corps. Il sera ainsi possible de faire de l’iceberg l’un des quatre objets privilégiés de l’oeuvre, après le corps de la tradition capté au moyen de la chasse au marsouin, la bête lumineuse qui est surtout attente du sujet et l’oumigmag comme corps métaphorique d’une survivance anachronique. Car, si ces photographies du Nord se caractérisent surtout par une absence de l’homme qui reste à interroger, il s’agira de montrer comment les conditions discursives dans lesquelles elles prennent place permettent à Perrault de figurer ce qu’il en est de l’historicité proprement politique du sujet québécois.
EN :
This article examines the relationship between the iceberg photographs in Pierre Perrault’s Le Mal du Nord and the image of the “body” in his work as a whole. The photographic image of the iceberg thus emerges as the fourth subject showcased in Perrault’s work, following the body of tradition, depicted by the porpoise hunt in Pour la suite du monde, the subject in waiting, shown in La Bête lumineuse, and the body as metaphor for anachronistic survival, as exemplified in L’Oumigmag. It is shown how Perrault’s arrangement of the discursive conditions of the iceberg photographs, which are characterized above all by the absence of man, enables him to depict the historicity of the Quebec political subject.
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Bernard Koest : L’irréversible et l’inachevable de la photographie des corps politiques
Hors dossier
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Figures et usages du malentendu
Dominique Garand
p. 87–101
RésuméFR :
Ce texte propose un exposé systématique des différents types de malentendus, des plus banals et bénins aux plus retors et pernicieux. L’objectif principal est de comprendre dans quelle mesure le malentendu peut devenir facteur de mésentente. Si l’examen rationnel des sources et des motifs de malentendus s’avère un moyen légitime de contrer leurs effets néfastes dans l’aire de la communication, il convient également de ne pas succomber à l’idéalisme et d’envisager le caractère incontournable et parfois insoluble du malentendu. Dans cette perspective, notre réflexion remet en question trois postulats de l’éthique de la communication défendue par Jürgen Habermas : la place donnée à la raison spéculative et l’efficacité d’un métadiscours explicatif dans l’élucidation des malentendus ou dans la résolution des conflits ; la possibilité d’un dialogue authentique dans certaines situations de conflit ; le consensus comme visée ultime du dialogue. Alors qu’Habermas situe tout échange authentique dans l’orbite d’une prétention à la validité, nous soutenons qu’il existe plus fondamentalement chez les sujets parlants une prétention à la jouissance et que les malentendus les plus coriaces prennent racine dans ce lieu des affects. Nous soutenons par ailleurs qu’il peut exister un usage éthique du malentendu.
EN :
Taking as its point of departure a systematic presentation of the various types of misunderstandings, ranging from the most banal and benign to the most perverse and pernicious, this text principally examines the ways in which they can pave the way for a disagreement. While it is surely plausible that a rational examination of motives and sources pertaining to misunderstandings may allow for a minimization of its undesirable effects upon communication, succumbing to an idealistic perspective is highly unlikely. In fact, the notion of a misunderstanding seems to herald the incontrovertible and irresolvable nature of a disagreement. Consequently, we will question the validity of Jürgen Habermas’s main premises on the ethics of communication: the scope given to speculative reason and the effectiveness of an explicative meta-discourse for clarifying misunderstanding or resolving conflicts; the possibility of authentic discourse in certain conflict situations; consensus as the ultimate goal of dialogue. Although Habermas stipulates that the presupposition of validity is incumbent upon any authentic exchange, we wish to underline a more fundamental notion, that is, the presupposition of satisfaction, which compels all individuals seeking to communicate. Via this comparison, we strive to unveil that even the most tenacious disagreement originates from this affective locus. We hope, in turn, to uncover a practice of ethics contingent upon disagreement.