Comptes rendus

Dominique Pradelle, Intuition et idéalités. Phénoménologie des objets mathématiques, Paris : Presses Universitaires de France, 2020, 552 pages[Notice]

  • Jeffrey Elawani

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  • Jeffrey Elawani
    Université McMaster
    Université de Paris Cité

La parution dans la collection Épiméthée des PUF du livre de Dominique Pradelle Intuition et idéalités. Phénoménologie des objets mathématiques offre au public une contribution critique à la phénoménologie des actes de visée des objets mathématiques. Cette contribution interroge en effet les a priori méthodologiques qui devraient, en principe, diriger toute enquête phénoménologique dans sa détermination husserlienne. Quoique des propositions d’inspiration similaire aient été avancées déjà en phénoménologie par Jean-Toussaint Desanti dans le sillage d’une tradition française de philosophie des mathématiques remontant à Cavaillès, Pradelle produit, il nous semble, une réflexion originale autant par sa reconstruction fort éclairante des thèses husserliennes que par le nombre d’évidences qu’il produit contre certaines de celles-ci. À la lumière de descriptions de la connaissance formelle mathématique, la thèse principale du livre de Pradelle remet en cause l’existence d’un concept univoque d’intuition sous lequel on pourrait ranger les différents actes de remplissement des visées, analysés par le phénoménologue. Dans le sixième tome de ses Recherches logiques, de fait, Husserl déclare que le concept d’intuition peut être élargi de la perception simplement sensible au remplissement des visées catégoriales dans lesquelles se donnent des essences de genre conforme. L’élargissement en question serait conduit sur la base de « l’existence de caractères essentiels communs » (Husserl, cité par Pradelle, p. 60) entre le remplissement des visées sensibles et des visées catégoriales. Détaillons la typologie des intuitions qui en découle. Suivant l’analyse husserlienne, on parle en effet d’au moins trois types d’intuitions. Il y a l’intuition sensible qui remplirait l’acte de visée perceptive. Ainsi, c’est par une « image vague » que la table dans la pièce est visée. L’image vise un objet matériel tridimensionnel occupant un certain lieu dans l’horizon de la pièce et la donation des différentes faces de la table valide cette première image en donnant l’objet table en personne (p. 66). Il y aussi l’intuition eidétique « matériale » qui remplirait un acte d’idéation, fondé sur la libre variation de l’imagination. Ainsi, en opérant la variation d’une couleur à travers plusieurs teintes individuelles, l’acte d’idéation est censé atteindre à l’essence « couleur » qui est un invariant intensionnel ou élément permanent à travers les variations individuelles de teintes. Enfin, il y un concept d’intuition catégoriale qui remplirait un acte de formalisation, dont le propre, par opposition au second, est de mettre en évidence une « pure forme syntaxique » (p. 69) qui ne dépend pas de contenus que l’on aura fait varier. Ainsi, Husserl affirme dans sa sixième recherche que dans le remplissement de l’acte de visée perceptif d’un état de choses, par exemple le fait que cette neige est blanche, l’acte de visée catégorial de la copule « est » est lui-même rempli (p. 89). À contrario des analyses husserliennes qui élèvent en modèle pour toute intuition un mode de donation en personne de son objet, Pradelle suggère de faire valoir un impératif de cette même phénoménologie husserlienne avec lequel l’univocité du concept d’intuition entre en tension : à chaque région d’objets correspond son mode d’évidence particulier prescrit à la conscience par la légalité propre à cette région (p. 18-27 et p. 508). Cet impératif, baptisé « principe anticopernicien », exige donc de prêter attention aux régions particulières d’étants avant de tenter d’élaborer une méthodologie phénoménologique dont le point de départ serait une conscience ahistorique dont les structures les plus générales, descriptibles en termes d’intuition, de donation, d’objet, etc., sont accessibles directement à la réflexion. Selon le type d’objet considéré, le type de remplissement pour la conscience doit changer (p. 21). Mais l’importance de ce changement, ultimement, interroge l’usage général en phénoménologie …

Parties annexes