Comptes rendus

Marie Gaille, En soutien à la vie. Éthique du care et médecine, Paris : Vrin, 2022, 157 pages[Notice]

  • Sophie Cloutier

…plus d’informations

  • Sophie Cloutier
    Université Saint-Paul

La pandémie de la Covid-19 a révélé de nombreuses failles dans nos systèmes de santé et a mis en lumière le rôle des politiques dans la gestion de la santé publique ; autant de problématiques que les théoriciennes de l’éthique du care discutaient depuis au moins une décennie. L’ouvrage de Marie Gaille paraît à point pour faire le pont entre les réflexions qui animent la philosophie de la médecine et l’éthique du care. L’hypothèse centrale est que « l’éthique du care peut substantiellement éclairer les orientations normatives de la médecine actuelle et la manière dont nous concevons collectivement sa place dans la société, aujourd’hui et pour l’avenir » (p. 9). Dès l’introduction, l’autrice situe cette hypothèse dans son propre parcours, procurant par la même occasion quelques détails intéressants sur la réception du care en France. Ce que nous avons trouvé un peu étonnant, voire navrant, c’est que l’effort pour élargir et politiser le champ du care ait eu pour conséquence d’éloigner les philosophes du soin, dont l’autrice elle-même, de cette éthique. Sandra Laugier, Patricia Paperman et Pascale Molinier ont en effet refusé de traduire le mot « care » par « soin » afin de ne pas en limiter la portée sémantique. Elles ont même audacieusement préconisé l’usage sans italiques ni guillemets du terme anglais (que conservera Gaille dans son ouvrage). Fort heureusement, Gaille reviendra à l’éthique du care en 2020 par le biais d’un dossier dans les Archives de philosophie et y (re)découvrira le potentiel pour la philosophie de la médecine et de la santé. Son ouvrage s’inscrit dans une perspective française, mais la portée de sa réflexion dépasse néanmoins ce contexte. Dans le premier chapitre, l’autrice s’intéresse à l’accompagnement des malades incurables et des mourants et elle soutient l’hypothèse que la médecine a, depuis quelques décennies, progressivement intégré des pratiques et principes qui s’apparentent au care. Elle rappelle en effet que l’apparition du VIH dans les années 1980 a « joué un rôle clé dans l’émergence d’une médecine qui renonce à guérir les malades en continuant à les suivre et à s’en occuper » (p. 28). Gaille puise habilement dans différents récits, essais, rapports et codes de santé publique afin de retracer l’histoire et le sens de la notion d’accompagnement qui jouera un rôle de plus en plus important en médecine. On comprend que l’accompagnement, qui représentait auparavant le moment de la mise en échec de la médecine, au sens où elle ne pouvait plus rien pour un patient incurable ou en fin de vie, finit par devenir la bonne forme de soin dans certains contextes thérapeutiques. Gaille analyse cette évolution par le biais de l’éthique du care. Elle en reprend les différentes phases, élaborées par Joan Tronto et Berenice Fischer, pour montrer que la médecine porte dorénavant attention et reconnaît les besoins des malades incurables et en fin de vie et la nécessité de les satisfaire (phase 1 : caring about). La médecine a la volonté d’assumer la responsabilité de répondre aux besoins identifiés (phase 2 : taking care of) et d’offrir des soins et un accompagnement divers et appropriés (phase 3 : care giving). La quatrième phase du care concerne la réception du soin (care receiving) et fait l’objet du deuxième chapitre qui s’intitule justement « La position du patient dans la relation de soin ». Gaille retrace l’évolution de la prise en charge médicale où les décisions médicales font de plus en plus place à la co-construction du savoir où une pluralité de perspectives est considérée, à commencer par celle du patient, mais aussi de sa famille et …