Comptes rendus

Pascal Engel, Les vices du savoir — essai d’éthique intellectuelle, Marseille, Éditions Agone, 2019, 615 pages[Notice]

  • Pierre Blackburn

…plus d’informations

  • Pierre Blackburn
    Cégep de Sherbrooke, retraité

La problématique de l’éthique de la croyance porte sur ce que nous avons le devoir de croire. Elle met en scène les rapports complexes que peuvent entretenir la raison théorique, qui porte sur les croyances, et la raison pratique, qui porte sur les actions. Il y a des normes épistémiques pour la première et des normes de raison pratique pour les secondes. Associées à ces dernières, et cela peut se faire de différentes manières, se trouvent les normes morales. Un armateur ne prend pas toutes les précautions possibles pour s’assurer de la vérité de sa croyance selon laquelle les passagers de son bateau se rendront à bon port. Le bateau coule, et il y a des morts. Ou encore, le bateau ne coule pas, et tout va bien pour les passagers. Dans le deuxième cas, peut-on blâmer l’armateur ? Bien sûr, selon la position classique défendue par William Clifford (The Ethics of Belief, 1877), car l’armateur n’avait pas le droit d’avoir cette croyance, il a seulement été chanceux. Une personne qui adopte des comportements racistes, parce qu’elle croit à tort à la valeur d’une théorie pseudoscientifique ou religieuse sur la supériorité de certains groupes, doit-elle être blâmée sur le plan épistémique, sur le plan éthique ou sur les deux plans ? Et dans ce dernier cas, comment articuler les deux blâmes ? Les relations entre la raison théorique et la raison pratique peuvent aussi s’articuler différemment. Banalement, avoir des croyances justes contribue à poser des actions qui nous permettent mieux d’atteindre nos objectifs : les normes épistémiques constituent un outil pour respecter les normes de raison pratique. Dans l’autre sens, il est naturel d’investir davantage de ressources cognitives sur les questions auxquelles on porte un intérêt : les normes de raison pratique influent donc sur les conduites épistémiques. Finalement, du point de vue de la raison pratique, l’objectif d’avoir des croyances vraies peut être considéré comme un objectif parmi d’autres, avec lesquels il pourrait arriver qu’il soit en concurrence. Il y a ainsi des situations où l’objectif de bien-être de l’individu entre en conflit avec l’objectif de voir les choses comme elles sont vraiment. Lorsque c’est le cas, il peut arriver que l’individu pense ne pas savoir si ceci est vrai ou faux, ou qu’il se dise dans l’impossibilité de le savoir, ou même qu’il pense que c’est faux, mais que comme cela lui fait du bien de penser que c’est vrai, il est correct de le faire. Le bel ouvrage de Pascal Engel fait le tour de la problématique de l’éthique de la croyance en « ouvrant les portes » de deux manières. Il le fait par l’examen d’un grand nombre de combinaisons possibles relatives aux façons de concevoir les normes épistémiques et à celles de concevoir les normes de la raison pratique. Il examine les conséquences de ces diverses combinaisons sur les questions centrales de l’éthique de la croyance. Pour illustrer cela, il formule un paradoxe doxastique, qui découle de trois propositions de prime abord vraies, mais qui sont incompatibles entre elles : Les volontaristes, dit Engel, rejettent (1), mais conservent (2) et (3). Les anti-volontaristes, quant à eux, rejettent (3), mais conservent (1) et (2). Suit une présentation des avenues ouvertes par chacune de ces positions et une évaluation de leurs mérites respectifs. Dans ce cas précis, la position retenue par l’auteur sera atténuée. Il ne va pas jusqu’à admettre le volontarisme doxastique, mais il admet que la formation des croyances n’est pas purement passive. Nous avons des obligations et des devoirs par rapport à nos croyances. Il y a des normes, comme en témoignent notamment …