Disputatio

Réponses aux commentaires[Notice]

  • Jean-Marc Narbonne

Je voudrais d’entrée de jeu remercier très sincèrement Patrick Turmel tout d’abord pour l’initiative et ensuite pour l’organisation de la présente disputatio. Je souhaite témoigner aussi ma reconnaissance à mes distingués collègues pour leurs remarques extrêmement érudites et pertinentes touchant différents aspects de l’ouvrage examiné. Je tiens pour un honneur le temps qu’ils ont consacré à cette tâche et leur en suis grandement obligé. Grâce à eux, j’ai d’ailleurs mieux compris toutes les ambiguïtés et obscurités que pouvait encore receler un texte que je voulais pourtant au départ le plus limpide et clair qui soit. Je n’ai aucunement la prétention, cela va sans dire, de résoudre tous les points soulevés, mais serai d’emblée heureux d’entamer avec mes collègues un dialogue fécond et ouvert sur les sujets proposés. Il m’a semblé que, pratiquement parlant, le mieux serait de tenter de répondre aux questions posées et de réagir aux difficultés rencontrées dans l’ordre chronologique d’expertise des intervenants eux-mêmes au débat. Je me pencherai donc tout d’abord sur les commentaires des antiquisants spécialistes d’Aristote (Gweltaz Guyomarc’h ; Marco Zingano), ensuite, de la spécialiste du Moyen Âge (Violeta Cervera Novo) et enfin, des experts en philosophie politique moderne et contemporaine (Thierry Gontier ; Juliette Roussin). Les commentaires de G. Guyomarc’h font apparaître que l’argument cumulatif exposé en Politiques III, 11 trouve de fait des appuis importants, comme j’ai tenté de le faire voir moi-même, dans plusieurs développements de l’oeuvre d’Aristote, au point qu’on peut parler chez lui d’une sorte d’« optimisme gnoséologique ». Les êtres humains sont d’emblée, selon lui, placés dans le savoir ou disons en position d’acquérir le savoir, et ce sont les contributions des uns et des autres, de force et de forme aussi variées soient-elles, qui, cumulées, rendent possible l’édification de la connaissance. Pour appuyer ce point, mon collègue introduit d’ailleurs des arguments supplémentaires par rapport à ceux que j’avais moi-même fait valoir (je pense entre autres aux passages de De anima I, 2 ; II, 5 et III, 8), tant et si bien qu’on peut être amené à soutenir, comme il l’écrit lui-même, que « sensation et pensée sont des réceptions d’information ». Jusqu’à ce point, l’accord semble, pour ainsi dire, entier entre nous, mais G. Guyomarc’h constate que ce n’est pas Aristote en tant que tel, mais nous-mêmes qui tirons argument de cette assise épistémologique pour justifier le processus cumulatif de III, 11. De la part du Stagirite, apparemment, rien de similaire, d’où le jugement mitigé du professeur Guyomarc’h : « De prime abord, le texte semble pourtant briller par sa faiblesse argumentative : Aristote recourt à des exemples et à des analogies plus ou moins convaincantes (1281 b 2-10) — avec le repas collectif, avec l’individu aux multiples pieds, mains et organes sensoriels, ou encore avec le jugement esthétique. Aristote lui-même énonce sa thèse avec réserve, comme une possibilité (ἐνδέχεται, 1281 b 1), dont « rien n’empêche qu’elle soit vraie » (1281 b 21) ». Est-ce bien le cas ? Il y a sans doute ici une part d’appréciation personnelle, mais il me semble que les arguments du Stagirite sont plus convaincants qu’il n’y paraît au premier regard, et qu’au contraire, ce dernier déploie passablement d’efforts pour les rendre probants : les contributions individuelles sont de fait diverses et se complètent les unes les autres ; les gens rassemblés sont comme un immense corps aux organes démultipliés et aux capacités perceptives élargies ; chacun juge plus particulièrement la partie qu’il connaît, et, à terme, tous, de tout ; l’homme vertueux est sans doute globalement supérieur, mais chez tel individu en particulier il …

Parties annexes