Disputatio

Précis du livre Sagesse cumulative et idéal démocratique chez Aristote[Notice]

  • Jean-Marc Narbonne

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  • Jean-Marc Narbonne, M.S.R.C.

L’ouvrage Sagesse cumulative et idéal démocratique chez Aristote propose un éclairage à certains égards nouveau sur la pensée politique du Stagirite, une pensée dont il faut rappeler qu’elle constitue encore aujourd’hui l’une des références majeures en philosophie politique. Voici deux remarques préliminaires avant d’en venir à l’exposé synthétique du contenu du livre : 1. Il est bien entendu qu’Aristote n’a pas écrit, comme s’il s’agissait d’une oeuvre planifiée, un traité de philosophie politique, à savoir celui que nous lisons aujourd’hui, car le traité des Politiques que nous possédons est en réalité composé de huit Livres entre lesquels les liens mutuels sont loin d’être manifestes. La place notamment des Livres VII et VIII par rapport à l’ensemble demeure très débattue, et j’ai défendu après d’autres l’idée qu’ils représentaient des vues anciennes, platoniciennes pour être clair, sur la cité. Personnellement, je pense qu’ils remontent à une période au minimum antérieure à la rédaction du Livre III. Après le Livre I (introductif), le Livre II (doxographique), le Livre III (théorique, c’est-à-dire abordant sur le plan des principes généraux les notions de cité, de citoyenneté, et les différentes formes de régimes possibles), se lit la trilogie des Livres IV, V, VI, des exposés dits « réalistes » qui, de l’avis quasi unanime des spécialistes, forment un tout relativement homogène. D’où la série : I ; II (VII et VIII, intercalation ou rédaction séparée ?) ; III ; IV, V, VI. Mis dans cet ordre, les développements du Livre III concernant la sagesse cumulative (chapitre 11 surtout, mais pas seulement) trouvent un aboutissement conséquent dans la défense de la politie (mélange d’oligarchie et de démocratie avec prépondérance accordée à l’élément démocratique), à savoir la nouvelle constitution excellente (aristè politeia) aux yeux d’Aristote, remplaçant à ce titre la royauté ou l’aristocratie privilégiée auparavant par Platon et d’autres. 2. Il est bien entendu, par ailleurs, que la disparité des points de vue entretenus par Aristote dans l’ensemble de ce traité et dans d’autres de ses écrits sur la valeur respective des différents régimes politiques rend extrêmement difficile la reconnaissance chez lui d’une prédilection nette accordée à un régime particulier. Une constitution est à ses yeux bonne dès lors qu’elle vise le bien de toute la cité et qu’en même temps, elle s’avère adaptée aux circonstances données et au type de peuple auquel elle s’adresse, ce qui évidemment qualifie plusieurs d’entre elles (royauté, aristocratie, politie). Néanmoins, « à défaut d’être un démocrate acharné ou toujours constant » (p. 5), il est clair que le Stagirite développe avec force au Livre III une argumentation en faveur de la sagesse collective, à savoir l’idée d’une sagesse cumulative ou sommative(Summierungstheorie) qui accorde au peuple — ou du moins à certains peuples —, la capacité collective, après délibération, de juger avec pertinence et efficacité des affaires de la cité, cette capacité pouvant même dépasser à l’occasion le savoir des experts, une thèse d’orientation démocratique claire et par ailleurs en phase avec les exposés subséquents concernant les atouts d’un gouvernement de la classe moyenne et les bienfaits d’une démocratie modérée, à savoir d’une politie. Cela étant dit, d’autres formes de gouvernement lui paraissent par moments encore et toujours légitimes (en vrai, il n’en exclut quasiment aucune), et il n’y a rien d’étonnant à ce que certains commentateurs, privilégiant plutôt d’autres passages du traité pris globalement (y compris bien sûr les Livres VII et VIII), aient pu être conduits à lui prêter d’autres inclinaisons que celle démocratique au sens large. Néanmoins, le parcours que j’ai décrit allant du sommet atteint en III, 11 au nouveau sommet conquis en IV, 11-13, …

Parties annexes