Disputatio

Possibilité ou potentiel ?Adorno penseur du surcroît et de la transformation sociale[Notice]

  • Aurélia Peyrical

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  • Aurélia Peyrical
    Université Paris-Nanterre / Centre Marc Bloch Berlin

Quelle forme Adorno donne-t-il à sa pensée de l’émancipation, puisqu’il est bien connu qu’il s’interdit de décrire de façon positive la société bonne ? Dans What Would be Different ? Figures of Possibility in Adorno, Iain Macdonald ne s’intéresse pas aux raisons et aux modalités d’une telle interdiction. Son objectif est autre : à partir des usages par Adorno du concept de « possibilité » (Möglichkeit), rassembler des éléments d’une théorie philosophique de la transformation historique et sociale métaphysiquement et ontologiquement fondée. L’auteur entend montrer qu’Adorno pense la transformation de la réalité (Realität) notamment à l’aide du concept de « possibilités bloquées » en faisant étroitement dialoguer la pensée adornienne tant avec la tradition philosophique allemande la plus classique (Hegel) qu’avec des figures politiques et philosophiques importantes de son temps (Lukács, Bloch, Heidegger, Benjamin). La part la plus fructueuse de son enquête tient à la façon dont elle permet de situer Adorno par rapport à ses inspirateurs et à ses adversaires philosophiques, pour en faire un penseur de virtualités dialectiques « ni complètement effecti[ve]s (wirklich), ni complètement non effectif[ve]s », comme le formulait Jay Bernstein (p. 57). Certains passages me semblent néanmoins insuffisamment explicites, ce qui risque de faire passer le lectorat non averti à côté d’un certain nombre d’idées, mais aussi de difficultés importantes de la philosophie adornienne. Après quelques pages introductives (p. 1-7) où sont posés les concepts structurant l’ouvrage, l’auteur propose un rapide rappel de l’opposition entre Adorno et deux théoriciens de la fausse conscience et de l’utopie, Georg Lukács et Ernst Bloch. La transformation de l’ordre existant ne dépend pas chez Adorno de la constitution d’une « conscience correcte » à même le réel (Real), conscience qui serait capable, selon Lukács (p. 7-14) de tirer de l’histoire hic et nunc des « possibilités objectives » effectives (wirklich). Mais la conscience ne doit pas non plus, pour Adorno, se détacher complètement du réel, au nom d’une réalité plus vraie (Wirklichkeit), au risque de dessiner des utopies vides et de tomber dans le conte de fée, ce qu’il reproche à Bloch en même temps que son indéfectible soutien à la RDA. Ces comparaisons sont menées avec finesse et illustrent l’idée éminemment adornienne selon laquelle il n’existe pas de conscience juste (ou correcte, richtig) dans la vie fausse. Adorno se distingue philosophiquement et politiquement de Bloch et de Lukács à propos de la théorisation du rapport entre conscience de classe et transformation sociale, dans la mesure où l’un comme l’autre a, chacun à sa manière, confiance en la capacité, qui de l’expérience historique, qui de l’imagination théorique, à se représenter correctement non pas immédiatement la société idéale, mais certains pans de celle-ci. Il me semble cependant que l’auteur ne réussit pas ici à expliciter le négativisme adornien. Lorsqu’il cite Adorno énonçant l’impossibilité, dans la vie mauvaise, du développement d’une conscience juste (p. 2) et, plus loin, son parti-pris pour l’attitude de résistance au monde faux qu’éclaire la conscience des insuffisances du réel (Realität, p. 21), il prête certes attention à la négativité, mais tend à la recouvrir d’une forme paradoxale de positivité, sous l’aspect de la possibilité. Pourquoi ne pas partir plus clairement des expériences négatives (souffrance, injustice) et privatives (insatisfaction, manque), pour creuser l’écart entre ce qui existe et ce qui pourrait (voire devrait) exister ? L’auteur rappelle que la proposition d’Adorno, par-delà la critique de la conscience correcte comme figure dogmatique de la critique sociale, consiste à dire que la philosophie doit se faire dialectique négative, c’est-à-dire dialectique attentive au non-identique. Mais le « non-identique » est-il vraiment l’équivalent du « …

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