Comptes rendus

Jean-Jacques Rousseau, Principes du droit de la guerre. Écrits sur la paix perpétuelle (sous la direction de B. Bachofen et C. Spector), Paris, Vrin, 2008, 340 pages[Notice]

  • Mitia Rioux-Beaulne

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  • Mitia Rioux-Beaulne
    Université d’Ottawa

Un inédit de Rousseau ? C’est, du moins, ce que le titre pourrait donner à penser au rousseauiste qui n’a jamais rencontré de texte portant cet intitulé dans les diverses Oeuvres complètes de Rousseau qu’il a pu consulter. Pourtant, la lecture du texte lui-même ramènera peut-être à sa mémoire des fragments « politiques » épars qu’il aurait pu y apercevoir. Là est l’enjeu de cette édition : révéler qu’il y avait, dissimulée derrière ce corpus, une séquence de textes à laquelle on peut restituer une unité. Les conséquences de cette restitution sont des plus intéressantes. D’abord, on assiste à « un changement essentiel dans les données matérielles de la discussion [sur le droit de la guerre rousseauiste] : le corpus textuel à considérer est redéfini, et son statut requalifié » de manière à produire un « renouvellement interprétatif » (20). De fait, ce qui semblait un point aveugle dans la pensée politique de Rousseau, la question de la guerre, trouverait désormais son lieu propre. Du même coup, une sorte d’énigme laissée en exergue du Contrat social et réitérée dans un endroit des Confessions et dans une lettre à Marc-Michel Rey se verrait résolue : le projet annoncé de la publication d’un ouvrage portant sur les relations externes des États, intitulé Principes du droit de la guerre, pour lequel aucun texte ne semblait disponible, arrive à terme avec cette édition — du moins quant à ce qui doit être vu comme la première partie des Principes. L’enquête minutieuse à laquelle les éditeurs du texte (B. Bernardi et G. Silvestrini) se sont livrés, relatée avec un détail qui illustre leur statut de chercheurs chevronnés et de philologues qualifiés, fait concourir preuves matérielles et textuelles à l’établissement du texte de manière à lever tout doute sur son authenticité et sur le fait qu’il résulte d’une phase de rédaction avancée — et, donc, témoignant « d’une indiscutable maturité de pensée et d’une cohérence que seules ses mauvaises conditions d’édition avaient masquées » (25). Mais l’enquête fait plus : elle date cette phase de rédaction (1755) de manière à montrer qu’elle est écrite antérieurement aux textes sur l’abbé de Saint-Pierre (1756), regroupés ici sous le titre d’Écrits sur la paix perpétuelle. Cette datation nouvelle, qui se distingue des efforts précédents pour rendre compte de la chronologie et de la genèse des écrits de Rousseau sur ces questions, constitue l’argument majeur en faveur d’une relecture de ces textes — relecture que cette édition rend possible en livrant ce groupe de textes réorganisés à l’aune des découvertes des éditeurs et qu’elle éclaire par quatre études résultant du travail effectué sur ces textes, chaque fois signés d’un auteur principal, mais présentés comme le fruit d’un travail collectif. Ainsi, en lieu et place d’une édition critique « classique » qui multiplierait les appels de note jusqu’à en rendre les textes illisibles, le principe qui a été adopté consiste à donner au lecteur les textes dans leur intégralité et d’en offrir une interprétation à la suite. Les Principes du droit de la guerre, formant un inédit, sont présentés d’abord avec un échafaudage qui fournit une image du brouillon — utile, surtout, pour qui s’intéresse à voir le philosophe « au travail », puis dans une version mise au net, de façon à faciliter l’accès à son contenu. Les Principes sont suivis par l’Extrait du projet de paix perpétuelle de Monsieur l’abbé de Saint-Pierre, où Rousseau prétend rendre compte de la pensée de l’abbé de Saint-Pierre, non sans, ici ou là, se permettre des incursions. Vient enfin le Jugement sur la paix perpétuelle …