Comptes rendus

Margaret Morrison, Unifying Scientific Theories. Physical Concepts and Mathematical Structures, Cambridge, Cambridge University Press, 2000, 272 pages.[Notice]

  • Yvon Gauthier

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  • Yvon Gauthier
    Université de Montréal

C’est un vaste panorama des théories unifiées, de la physique à la biologie, que Margaret Morrison veut analyser dans une synthèse critique. Le sous-titre annonce la thèse centrale de l’auteure : la surdétermination des concepts physiques par les structures mathématiques. Mais cette thèse philosophique sur l’applicabilité des mathématiques n’est pas supportée par une option fondationnelle en mathématiques (ou en logique). Il s’agit surtout d’un ouvrage en histoire et philosophie de la physique, même si deux chapitres substantiels, les chapitre 6 et 7, portent sur la théorie darwinienne et la théorie synthétique de l’évolution, en particulier la génétique des populations chez des auteurs comme R.A. Fisher et S. Wright. En réalité, le motif recteur de l’entreprise est d’ordre philosophique plutôt que critique au sens de la critique interne du discours scientifique. Ainsi le premier chapitre est consacré à l’analyse du concept d’unité en science de Kepler à l’empirisme logique (Carnap et Neurath) en passant par Kant et Whewell. Le deuxième chapitre aborde la scène contemporaine avec une discussion du modèle de l’explication en science de Michael Friedman. Ce préambule philosophique doit servir, selon l’auteure (p. 59), à préparer le terrain pour l’analyse des théories unifiées. Dans un examen plus historique que conceptuel de la théorie unifiée de l’électromagnétisme de Maxwell, Morrison explique comment le courant de déplacement postulé par Maxwell pour rendre compte du « transport » de l’électricité ne peut servir de justification à une théorie unifiée qui est venue par surprise. On sait que les équations de Maxwell qui définissent l’interaction entre le champ électromagnétique et sa source n’ont pas d’interprétation directe et il faut faire intervenir une densité de charge et une densité de courant pour lier ensemble champ électrique et induction magnétique, d’où l’électromagnétisme ; mais l’unification ainsi obtenue est purement théorique et a le caractère d’un appareil analytique dont les conditions de réalisation ne relèvent pas de l’interprétation physique comme telle. Ce vocabulaire, « analytischer Apparat » et « Realitätsbedingungen » que j’emprunte à Hilbert, n’est pas celui de Morrison. L’eût-elle utilisé que sa discussion eût été plus pertinente ; elle a plutôt eu recours à des termes vagues comme structures mathématiques et contraintes formelles (formal constraints). Le style philosophique de l’auteure apparaît dans ce contexte encore plus descriptif que critique, la thèse fondationnelle n’étant jamais explicitée, et on retrouve la même indécision dans le chapitre suivant (chap. 4) sur l’unification du champ électrofaible en théorie des particules élémentaires. Cette théorie a valu le prix Nobel à Weinberg, Glashow et Salam en plus d’un prix Nobel à C. Rubia pour son travail à la tête de l’équipe d’expérimentateurs du CERN qui a confirmé en 1983 l’existence des bosons intermédiaires W et Z requis par la théorie et un autre prix Nobel à G.‘t Hooft (conjointement avec M. Veltman) pour la preuve de renormalisation requise pour la consistance de la théorie. La théorie unifie le champ électromagnétique et le champ nucléaire faible peuplé de leptons ou particules « légères » insensibles au champ nucléaire fort des hadrons ou particules « lourdes ». L’auteure reconstitue fidèlement, avec l’approbation de Weinberg, l’histoire de cette théorie récente où les notions anciennes de jauge, symétrie et champ trouvent une application éclatante. Je dis ancienne parce que la première théorie de jauge, celle de Hermann Weyl, n’est rappelée que brièvement par l’auteure (p. 115) qui cite le théorème de Noether sans l’expliquer. Or ces deux éléments sont essentiels dans l’histoire des théories de jauge, puisque le (premier) théorème de Noether réduit les lois de conservation (de la mécanique classique) à leurs groupes de symétrie et que la théorie de jauge …