Débat

Les SDF et l’itinéranceUne question sociale très politique[Notice]

  • Stéphane Rullac

…plus d’informations

  • Stéphane Rullac
    Éducateur spécialisé
    Formateur chercheur, BUC Ressources (78), École supérieure du travail social des Yvelines, France
    stephane.rullac@buc-ressources.org

Il est toujours intéressant et plaisant d’être lu et commenté, d’autant plus que cela est un fait assez rare dans le cadre du travail social français. Je tiens donc à saluer ce dispositif éditorial, inexistant à ma connaissance en France, qui instaure un débat direct, de texte à texte, entre commentateurs du social. Cette confrontation, au sens noble du terme, permet à la recherche d’être un débat et en débat ; ce qu’elle n’est pas assez souvent. Je tiens aussi à affirmer que les termes de cet échange sont truffés de biais culturels, qui se situent d’abord dans les logiques propres à chaque pays (le Québec et la France), mais aussi dans la nature de l’engagement principal des auteurs (chercheur et responsable militant de dispositifs pour René Charest et chercheur-formateur désinvesti de toutes responsabilités de terrain, en dehors de celui de la formation professionnelle, pour moi-même). De plus, je ne connais rien à la situation québécoise. Mon commentateur semble, d’après sa propre affirmation, n’en connaître pas davantage concernant celle de la France. Ces quelques données me permettent de circonscrire le sens de ma réaction. Les propos de René Charest me permettent de mieux me comprendre et ainsi de mieux me faire comprendre, dans une explicitation de la situation française. Cette ambition, très autocentrée, repose sur une réalité anthropologique trop méconnue : l’interculturalité à travers la rencontre de l’autre permet surtout de se connaître soi-même ; l’autre demeurant toujours une énigme. Ce n’est que parce que chacun se connaît mieux qu’il peut alors rencontrer autrui. Je salue donc cette modalité québécoise d’échanges qui me permet de formaliser davantage mon point de vue, à travers celui d’un autre. René Charest inaugure son propos en critiquant fondamentalement le mien. Tout d’abord, il conteste que le passage de l’urgence sociale à la stabilisation constitue la perpétuation du misérabilisme qui détermine la question SDF en France. Ensuite, il continue en mettant en cause ma lecture du biopouvoir de Foucault qui permettrait d’affirmer que cette question SDF à la française s’inscrit dans une logique raciste. Cette prise de position initiale est sévère à mon égard, car elle contredit mes deux principaux arguments. Pourtant, dans la suite du texte, le ton se radoucit immédiatement, pour me reconnaître quelques raisons. La première se situe dans la critique de l’urgence sociale. Quelques rencontres dans les années 1990, notamment avec Xavier Emmanuelli, l’ont amené à constater que ce paradigme se structurait en France sur une approche psychiatrique du SDF. Pris dans cette nasse idéologique, les sans-abri sont réduits dans leurs réalités et leurs besoins. Les réponses apportées sont donc limitées dans leurs pertinences. En France, Patrick Declerck est le grand théoricien de ce syndrome de désocialisation (Declerck, 2001). Plus récemment, Xavier Emmanuelli vient de réaffirmer ce point de vue en publiant un nouvel ouvrage (Emmanuelli et Malabou, 2009). Cela témoigne du fait que la tentation de se saisir de cette entrée théorique unique a encore des sympathisants. Une étude réalisée auprès de 859 personnes, par l’observatoire du Samu social de Paris et l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), révèle que 32 % des SDF seraient touchés par des troubles psychotiques. Ce fait n’exclut pas la critique d’une approche psychiatrique dominante qui instaure un misérabilisme impropre à favoriser l’émergence des capacités des personnes exclues. Il s’agit donc d’une base commune de critique de l’urgence sociale telle qu’elle s’est développée en France, autour du modèle des Samu sociaux, dans une référence revendiquée au médical. Monsieur Charest apporte donc de l’eau à mon moulin. En effet, l’approche française est fondamentalement à la recherche d’une justification idéologique d’un besoin …

Parties annexes