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Robinson, Douglas (2017) : Exorcising Translation. Towards an Intercivilizational Turn. New York/London : Bloomsbury, 192 p.[Notice]

  • Sathya Rao

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  • Sathya Rao
    University of Alberta, Edmonton, Canada

Auteur prolifique, Douglas Robinson n’a eu de cesse depuis ses premiers travaux comme The Translator’s Turn (1991) et Translation Taboo (1996) de décloisonner les Translation Studies. Exorcising Translation ne fait pas exception à la règle. L’ouvrage se situe à la fois dans la proximité immédiate de Dao of Translation : an East-West Dialogue (2015) et de Critical Translation Studies (2017) dont il reprend plusieurs des thèses, mais aussi dans le prolongement de travaux comme Schleiermacher’s Icoses : The Social Ecologies of the Different Methods of Translating (2013) et The Deep Ecology of Rhetoric in Mencius and Aristotle : A Somatic Guide (2016) qui posent les bases d’une théorie « icotique » du langage (et de la traduction). Mettant à profit le concept de civilizational spell élaboré par le théoricien d’origine japonaise Naoki Sakai, Robinson s’engage dans une réflexion sur les conditions de possibilité d’un dialogue renouvelé entre l’Orient et l’Occident. Dans le sillage de Sakai, Robinson dénonce la fiction « homolingue » (homolingual) selon laquelle l’Orient et l’Occident seraient absolument homogènes et donc incommensurables. Cette fiction est alimentée par une idéologie nationaliste qui occulte de part et d’autre les dissonances internes (dialectes, vernaculaires, etc.) dans le but de renforcer l’impression générale de pureté que l’Orient et l’Occident renvoient d’eux-mêmes. C’est dans ce cadre préétabli que prend place une activité de traduction (ou de communication) qui conforte chacun des deux interlocuteurs dans l’idée stéréotypée qu’il se fait de lui-même. Partant de la notion de civilizational spell, Robinson s’attache à déconstruire l’histoire des relations (et nécessairement des traductions) entre l’Orient et l’Occident telle qu’elle s’est élaborée en régime homolingue. L’auteur distingue son entreprise de celle d’un Andrew Chesterman qui, sous couvert d’ouvrir les Translation Studies aux apports de l’Orient ne ferait, en tout et pour tout que se disculper des accusations d’eurocentrisme à son endroit. Selon l’auteur de Memes of Translation, faire place à la théorie de l’autre (en l’occurrence, l’oriental) au sein du champ des Translation Studies revient à la soumettre au tribunal « universel » de l’expérience. De l’avis de Robinson, le poppérianisme dont se réclame Chesterman trahit malgré tout un ethnocentrisme qui prend pour alibi la supposée universalité de l’empirisme scientifique – croyance qui relève comme telle du civilizational spell – pour sublimer sa mauvaise conscience. L’originalité, pour ne pas dire la rigueur du dialogue « intercivilisationnel » amorcé par Robinson, est de prendre au sérieux les effets de ce charme (spell) en lui donnant un ancrage somatique tout en contestant les géographies culturelles nationales (pour le moins simplificatrices) de l’Orient et de l’Occident produites en régime homolingue. Aller ainsi à contre-courant du civilizational spell, c’est mettre en question l’ensemble des discours et catégories que l’Orient et l’Occident ont mobilisé dans le but d’instituer le mythe historique de leur irréprochable pureté (et du régime traductif qui en découle). Plutôt que de circonscrire la relation entre Orient et Occident à des binarismes simplificateurs (eux-mêmes issus d’une certaine histoire nationaliste), le « tournant intercivilisationnel » (intercivilizational turn) que Robinson appelle de ses voeux reconnaît la complexité des tentatives toujours imparfaites de négociation de cette relation. C’est précisément à faire état de cette complexité que s’attache Robinson. Dans le deuxième chapitre de l’ouvrage, intitulé The Casting of Civilizational Spells : Nietzsche as Precursor, Bloom as Ephebe, Robinson s’attache à établir une continuité entre la critique nietzschéenne de la « morale d’esclave » à l’oeuvre dans le judéo-christianisme et le civilizational spell identifié par Sakai. Il retrouve dans la description des conditions d’imposition de cette morale au moyen de la douleur …