Germaine de Staël, citoyenne du monde : le cosmopolitisme dans l’oeuvre staëlien[Notice]

  • Laetitia Saintes

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  • Laetitia Saintes
    Université catholique de Louvain

De tous les groupes littéraires qui ont marqué l’histoire des lettres, le Groupe de Coppet, constitué autour de Germaine de Staël, est sans conteste l’un des plus atypiques. Loin de former une société codifiée pourvue d’objectifs définis, de statuts, comme une académie, d’une revue, ou même d’une doctrine donnée, le Groupe ne constitue ni un parti politique, même s’il se passionne pour ce sujet, ni une secte, bien que la religion intéresse certains de ses membres. Fort de sa diversité, il ne se prononce pas pour une forme littéraire précise, comme plus tard les naturalistes, et est loin de se cantonner à un seul domaine : philosophie, histoire, économie, littérature se côtoient et s’entremêlent dans un projet (et un propos) résolument pluridisciplinaire. Son noyau dur rassemble ainsi des écrivains dont certains joueront un rôle politique actif (Benjamin Constant, Prosper de Barante, Elzéar de Sabran), des économistes (Jean de Sismondi), des philosophes (Bonstetten, Schlegel), des femmes de lettres (Albertine Necker de Saussure, Juliette Récamier), en plus des enfants de Germaine de Staël, très tôt amenés à participer à la discussion. Les rapports de ses membres se fondent non sur une doctrine commune, mais sur une convergence à la fois philosophique, morale et politique. L’appellation de « Groupe de Coppet » a d’ailleurs été forgée a posteriori : ses membres ne se sont jamais de leur vivant organisés en un groupe formellement défini. Doté d’un prestige intellectuel inégalé – on connaît le mot de Bonstetten à ce propos, selon lequel « [i]l se dépense plus d’esprit à Coppet en un jour que dans maints pays en un an » –, le Groupe diffère enfin des salons du xviiie siècle, bien qu’il en procède en partie, comme on le verra, et des groupes littéraires nationaux (comme ceux d’Iéna ou de Weimar), puisqu’il se caractérise avant tout par son caractère cosmopolite. En dépit de l’hétérogénéité de ses membres et de leurs domaines d’élection, le Groupe trouve sa cohésion dans la personne de Germaine de Staël, inspiratrice et point de ralliement. Seule femme dans l’histoire littéraire à avoir joué un tel rôle tout en poursuivant ses travaux, celle-ci prône non l’orthodoxie, mais la liberté de penser et la diversité, mot d’ordre du Groupe. À cet égard, la conversation, lieu forcément dialogique, donc potentiellement subversif, figure sans conteste l’activité la plus caractéristique de l’esprit du Groupe. Le Groupe prend racine dès les débuts de Germaine de Staël comme salonnière, en 1786. Réunissant écrivains, aristocrates, diplomates, hauts fonctionnaires, l’écrivaine traite avant tout de politique jusqu’en 1792. C’est à la suite de son premier exil, dû aux troubles révolutionnaires, que ce qui était jusqu’alors un salon parisien, certes brillant mais similaire par sa forme à d’autres cercles intellectuels du temps, entame sa métamorphose. À compter de cette date, il ne se tiendra plus à Paris que de façon épisodique, et choisit Coppet – « centre de lumière, de religion, de fortune » selon le mot de Barante – comme lieu d’élection, et Genève comme nouveau centre. De façon apparemment paradoxale, c’est cet exil et ce confinement forcés dans une ville au carrefour de l’Europe, accessible et visitée de toutes parts, qui donneront au cercle de Germaine de Staël une dimension et une renommée internationales – comme si la sociabilité, se voyant interdire le séjour parisien, devait dès lors prendre place à l’échelle européenne. D’emblée, donc, le Groupe incarne « l’esprit européen » ; Stendhal l’a bien compris, qui, peu après le décès de Germaine de Staël, décrira les réunions de Coppet comme les « états généraux de l’opinion européenne ». Les arrivées successives de Benjamin Constant (1794), …

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