Observations de Mme de Graffigny et de Devaux sur la dramaturgie de Destouches[Notice]

  • Marie-Thérèse Inguenaud et
  • David Smith

…plus d’informations

  • Marie-Thérèse Inguenaud
    Université de Paris

  • David Smith
    Université de Toronto

Les volumes 14 et 15 des lettres de Françoise de Graffigny, qui couvrent les six dernières années de sa vie, montrent qu’elle correspondait, entre décembre 1750 et mai 1754, avec l’auteur dramatique Philippe Néricault Destouches. Nous avons retrouvé vingt-quatre des lettres qu’il a adressées à l’auteur de Cénie, la plupart inédites. En revanche, seule la première lettre de Mme de Graffigny à Destouches nous est parvenue, mais grâce à sa correspondance avec François-Antoine Devaux, on sait qu’elle lui a répondu. Ces deux correspondances de Mme de Graffigny — avec Devaux et avec Destouches — ont donné lieu, d’une part à un article qui contient le texte des lettres de Destouches avec nos commentaires, et d’autre part au présent article, dans lequel nous nous proposons d’examiner les observations de Mme de Graffigny et de Devaux sur les comédies de Destouches. Nous verrons qu’elle y est moins favorable que son ami lorrain, et qu’elle ne se reconnaissait aucune dette littéraire envers le dramaturge, même si elle a un peu changé de ton après avoir fait sa connaissance personnelle. La culture théâtrale des deux correspondants était très étendue et Destouches est l’un des dramaturges qu’ils connaissaient le mieux. Rien d’étonnant à cela, quand on sait qu’aucun auteur comique du xviiie siècle n’a été joué plus souvent, non seulement sur les planches parisiennes, mais aussi en Lorraine, que Mme de Graffigny n’a quittée qu’en 1738 à l’âge de 43 ans. Elle avait l’habitude d’acheter les pièces de Destouches, pour elle-même et pour Devaux, à mesure qu’elles sortaient des presses de Prault père, et allait régulièrement voir ou revoir ses pièces au Théâtre-Français aussi souvent que ses moyens le lui permettaient. En 1743, par exemple, elle accompagne une amie pour voir une reprise du Philosophe marié. Elle y retournera deux fois en 1751, et encore une fois deux ans plus tard. Elle assiste quatre fois au Glorieux, deux fois à La Force du naturel. Elle évoque encore beaucoup d’autres pièces, sans qu’on puisse toujours savoir si elle y a assisté elle-même ou si elle n’en parle que par ouï-dire. Pour commenter les menus incidents de leur vie quotidienne, les deux amis adorent citer leurs auteurs favoris. S’ils mentionnent fréquemment Molière, Corneille, Racine et Regnard, ils aiment également se référer à leurs contemporains. De Destouches, ils citent surtout les deux pièces les plus célèbres, Le Philosophe marié (1727) et Le Glorieux (1732). Ils affectionnent deux répliques du Glorieux : « Vous mentez à présent ou vous mentiez tantôt » et « Chassez le naturel, il revient au galop », cette dernière étant d’ailleurs devenue proverbiale. Ils puisent aussi abondamment dans Le Philosophe marié. Ainsi Devaux, pour marquer son approbation d’un mariage lorrain qui se heurte à l’opposition familiale, reprend une déclaration de Céliante : « Je soutiens qu’il [le mariage] est bon et bon par excellence. » Les allusions au texte de Destouches viennent comme naturellement sous la plume de Mme de Graffigny. Pour évoquer les chagrins de sa grande amie, l’actrice Jeanne Quinault, elle écrit : « Elle pleura et nous aussi (afin que Destouches ait raison) », reprenant l’observation de Lisimon : « Qu’une femme pleure, une autre pleurera. » Ou bien : « Il faut être comme l’homme du Glorieux, admirer et se taire », citant ainsi Philinte qui dit à Lisette : « Et je ne veux ici qu’admirer et me taire. » Ou encore, pour exprimer son affection pour Bagard, médecin lorrain de ses amis, Mme de Graffigny écrit : « Je l’aime toujours et je ne mourrais jamais que de sa main s’il …

Parties annexes