Notes critiques

À propos d’un ouvrage récent de Vincent Boyer[Notice]

  • Pierre Goldstein

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  • Pierre Goldstein
    Université Côte d’Azur, Nice

Vincent Boyer, Promesse tenue. Agir par devoir, Paris, Classiques Garnier, 2021.

Le fait qu’une action soit accomplie seulement « par devoir » semble pouvoir conférer une certaine valeur morale à son auteur. Pourtant, lorsque Paul affirme qu’il fait ce qu’il fait « parce qu’il l’a promis » — et non pour une autre raison —, son explication n’est-elle pas purement tautologique, la nécessité d’agir par devoir s’expliquant alors par le devoir ? Tel est le problème — « le problème motivationnel du catégorique » (p. 16) — auquel Vincent Boyer s’attelle dans son ouvrage. Les trois premiers chapitres du livre seront consacrés à l’examen critique des doctrines — l’utilitarisme et les approches humienne et kantienne du devoir — qui prétendent apporter une solution à ce problème. Il ne s’agira pas, ensuite, de proposer une nouvelle « théorie éthique normative » (p. 19). L’auteur préconise plus radicalement un changement de méthode : « […] commencer par la description d’une pratique, celle de faire des promesses et d’apprendre à les tenir pour en tirer des conclusions “morales”, notamment des conclusions sur le sens du “catégorique” » (p. 20). Le modèle de cette méthode « pragmatiste » sera fourni par les analyses de la pratique de la promesse proposées par Elizabeth Anscombe notamment. Le problème et la méthode sont donc particulièrement bien définis dès le départ de cette enquête palpitante qui nous plonge au coeur de questions morales fondamentales telles qu’elles peuvent être éclairées par la philosophie contemporaine. L’entreprise peut toutefois paraître étonnante. L’expression « agir par devoir » est habituellement associée aux morales « déontologiques » — notamment kantienne —, plutôt qu’aux autres théories morales examinées dans l’ouvrage. Anscombe est même connue pour avoir préconisé l’abandon de l’idée de « devoir moral » — idée non seulement illusoire mais nuisible à ses yeux. À quelles conditions, par conséquent, notre auteur pourra-t-il en faire un usage pertinent ? Tel sera le fil conducteur de notre propre enquête sur l’enquête menée par Vincent Boyer. Le premier chapitre explique l’échec de la « déontologie utilitariste » (p. 23) à rendre compte du « catégorique ». Mais l’expression elle-même n’est-elle pas contradictoire ? Un des grands mérites du travail de Vincent Boyer est de nous donner de bonnes raisons de nous affranchir de la distinction scolaire entre déontologisme, conséquentialisme et éthique des vertus, classification dont la genèse est limpidement restituée à partir du « tournant métathéorique » (p. 35) amorcé par Sidgwick (p. 58 sq.). Contrairement à ce que suppose cette classification, l’utilitarisme est bien une théorie du devoir et, en ce sens une « déontologie ». C’est la typologie introduite par C.D. Broad qui fait du « déontologisme » une position extrême qui s’opposerait radicalement aux théories « téléologiques » : « Les théories déontologiques, dit-il, soutiennent qu’il y a des propositions éthiques de la forme : “Il est toujours bon (ou mauvais) d’accomplir telle ou telle sorte d’action dans telles ou telles circonstances, quelles que puissent être les conséquences” ». Mais, selon la formule d’Elizabeth Anscombe, ce « déontologiste » est une « bête fictive » auquel s’oppose fictivement une approche « téléologique » (p. 68-69). Le refus du conséquentialisme n’implique nullement qu’il y ait des actions qu’il faille toujours accomplir indépendamment de leurs conséquences bien qu’il puisse impliquer que l’on n’agisse pas toujours en fonction des meilleures conséquences de nos actes — ce qui est fort différent. Aux yeux de l’utilitariste, « nous avons le devoir moral de choisir l’action qui produira le plus de bien-être » (p. 26). Toutefois, cette définition du devoir empêche l’utilitarisme de rendre compte de la tenue d’une promesse comme « acte de fidélité » (p. 28-29) — …

Parties annexes