Recensions

Fiona C. Black, Jennifer L. Koosed, dir., Reading with Feeling. Affect Theory and the Bible. Atlanta, Society of Biblical Literature (coll. « Semeia Studies », 95), 2019, viii-225 p.[Notice]

  • Sébastien Doane

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  • Sébastien Doane
    Université Laval, Québec

Qu’est-ce que l’affect theory ? L’introduction de Black et Koosed indique que cette théorie offre des outils conceptuels pour l’analyse des émotions, des sensations corporelles et du mouvement de ces intensités (p. 1-5). Elle puise ses racines psychologiques dans les travaux de Tomkins et, philosophiques, à partir de Deleuze et Guattari. C’est la version philosophique de la théorie de l’affect qui génère le plus d’intérêt en études bibliques et dans ce collectif. Le contact de cette théorie avec les études bibliques est relativement récent, mais suscite un engouement comme le montrent quelques publications récentes. Reading with Feeling est un excellent exemple de la fécondité de ce rapprochement et montre comment cette théorie peut déstabiliser l’exégèse classique. Le livre regroupe huit articles originaux et deux réponses à ceux-ci. Le premier article, écrit par Ken Stone, souligne les sensations corporelles humaines et animales pour l’étude de la parabole de l’agneau utilisé par Samuel pour confronter David à son crime contre Bethsabée et Urie (2 S 12). Il aborde les relations affectives entre humains et animaux comme expressions de genre et de pouvoir. Il souligne justement que les émotions ne sont pas que le propre des humains. L’article de Rhiannon Graybill rejoint l’aspect posthumaniste de celui de Stone puisqu’elle s’intéresse à la circulation de la tristesse (unhappiness) entre humains, animaux, plantes et objets dans le livre de Jonas. Elle présente Jonas comme un étranger affectif qui résiste au bonheur coercitif. Il refuse d’être heureux de l’universalité de la miséricorde de YHWH. Ces deux articles ne se limitent pas aux émotions humaines. Ils montrent l’importance du passage d’intensités affectives par des animaux, comme la brebis qui « dort dans l’étreinte » (2 S 12,3) de son propriétaire, par la plante en Jon 4,7 ou la ville de Ninive épargnée. Les articles de Marchal et Cottrill illustrent très bien le déplacement épistémologique aux antipodes d’une exégèse qui voudrait retrouver le sens objectif original d’un texte biblique. Marchal traite du dégoût autour de Paul à partir des effets affectifs entre les lettres et son auditoire. Par ses premières lignes, il ose entrer dans ce qu’on pourrait appeler une exégèse autobiographique attentive aux intensités affectives et réactions corporelles de l’exégète : Marchal s’intéresse à la fois au dégoût qu’il ressent dans son corps, qu’à celui qui est intégré à la rhétorique paulienne pour affecter son auditoire d’origine. L’article de Cottrill porte sur le potentiel affectif du psaume 109, un psaume de lamentation individuelle. La partie la plus importante de cet article porte sur des considérations méthodologiques de la théorie de l’affect pour l’analyse de texte biblique. Son intérêt vise l’affect vécu dans l’expérience de la prière des psaumes. Sa contribution majeure est de plaider en faveur d’une conception de l’interprétation qui n’est pas qu’une activité cognitive désincarnée. Elle demande par exemple : Impossible de donner une réponse claire et objective à ces questions puisque l’affect est toujours imprévisible (p. 62). Cottrill oriente l’exégèse vers une version de l’histoire de la réception comme performance criticism. Sur le plan théorique, elle reprend la stylistique affective du théoricien littéraire Stanley Fish pour l’ouvrir à l’étude d’éléments textuels qui génèrent une réponse émotive, sensorielle ou affective. Cette approche cinétique et incarnée s’oppose à l’intérêt pour l’étude du sens communiqué par un texte. Si Fish passait du what does a text mean ? à what does a text do ?, Cottrill invite maintenant à analyser how do texts make feeling ? (p. 61). Dans les autres articles du collectif : Jennifer Koosed étudie le livre de prière juive comme une archive d’émotions et la prière comme un …

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