Notes critiques

Une monumentale édition d’un monument : les Sacra Parallela attribués à Jean Damascène[Notice]

  • Paul-Hubert Poirier

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  • Paul-Hubert Poirier
    Faculté de théologie et de sciences religieuses, Institut d’études anciennes et médiévales, Université Laval, Québec

Cette note critique porte sur les cinq volumes parus de l’édition des Sacra Parallela pseudo-damascéniens. Pour alléger les références, nous renvoyons aux différents volumes par un chiffre de 1 à 5 (voir infra pour les références, p. 285).

Le vaste recueil encyclopédique connu sous le nom de Sacra Parallela, en raison de la manière dont sont rassemblées et citées dans le troisième livre les auctoritates qu’il invoque, a été transmis sous le nom de Jean Damascène (vers 640-vers 750). Les recherches menées surtout depuis Friedrich Loofs et Karl Holl (1897) ont établi que les Sacra Parallela damascéniens reprennent en fait un florilège antérieur, intitulé Ἱερά ou Sacra, qui comportait trois livres, le premier, consacré à la divinité, le deuxième, à l’homme, le troisième, aux vertus et aux vices. La matière et les titres des deux premiers livres étaient répartis selon l’ordre des lettres de l’alphabet grec, ceux du troisième étaient disposés par paires ou « parallèles », vertu d’abord, vice ensuite, d’où le titre sous lequel l’ensemble de la composition est connu. Ce florilège, qui devait être d’une dimension considérable, a été en quelque sorte victime de sa taille et n’a probablement jamais été recopié dans son intégralité. On en aura plutôt tiré des recueils plus maniables ou des abrégés, dont les Sacra Parallela damascéniens — ou pseudo-damascéniens, comme on le dira à l’instant — sont un bon exemple, même s’il s’agit encore d’un ouvrage de grande ampleur. Le sort des Ἱερά originaux n’est pas sans rappeler celui des Hexaples d’Origène, dont le gigantisme a empêché la transmission intégrale. La dépendance des Sacra Parallela pseudo-damascéniens d’un modèle préexistant disparu et la complexité de la tradition manuscrite ont singulièrement compliqué la tâche des chercheurs et des utilisateurs d’un ouvrage auquel les historiens de la littérature chrétienne ancienne, à cause de la richesse des matériaux qu’il rassemble, souvent tirés d’oeuvres disparues, ne pouvaient se dispenser de recourir. Marcel Richard, dans son article fondamental consacré aux florilèges grecs, a donné une image claire de la nature et de la composition des Sacra Parallela, tout en apportant compléments et précisions aux résultats de la recherche antérieure. Il a montré que, du premier livre, sur Dieu, ne s’est conservée à l’état indépendant qu’une seule recension abrégée et dans un seul manuscrit, le Parisinus Coislin 276. Pour le deuxième livre, sur l’homme et les affaires humaines, la tradition manuscrite se partage en deux recensions différentes l’une de l’autre : la première, dite vaticane, d’après le manuscrit Vaticanus graecus 1553, la seconde, diversement attestée par plusieurs florilèges, dont le Florilegium Rupefulcanum (du nom du cardinal François de La Rochefoucauld [1558-1645]), c’est-à-dire le manuscrit Berlin, Philipp. 1450, le témoin quantitativement le plus important du deuxième livre, celui-ci étant le plus considérable des Sacra Parallela. Quant au troisième livre, il est moins bien conservé. Même si cette attribution a été débattue, notamment par Friedrich Loofs, les Sacra Parallela ont été traditionnellement mis sous le nom prestigieux de Jean Damascène, comme le fait une partie non négligeable de la tradition manuscrite. En 1954, Marcel Richard, tout en reconnaissant que « l’étude des différents florilèges damascéniens n’est pas encore assez avancée pour permettre des conclusions certaines », concluait que « le parrainage indéniable de Jean Damascène nous permet de placer au 8e siècle la compilation des Hiera et de localiser celle-ci en Palestine, plutôt qu’à Constantinople ». Dans un important article dans lequel il donne une vue d’ensemble des Sacra Parallela et de leur tradition manuscrite, le byzantiniste gantois José Declerck a établi, sur la base de solides arguments, que les Sacra Parallela étaient « nettement antérieurs à Jean Damascène » et qu’ils étaient imputables à un seul auteur, et il a conclu de son analyse que « les Sacra sont l’oeuvre d’un hiéromoine Jean, qui vivait dans un monastère de Jérusalem ou de …

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