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  • Gilles Routhier

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  • Gilles Routhier
    Faculté de théologie et de sciences religieuses, Université Laval, Québec

Les groupes religieux sont des acteurs sociaux. En raison de la vision de la personne humaine inhérente à la foi qu’ils professent, des valeurs qu’ils mettent en avant, de la vision du monde que déploient leurs croyances, ces groupes interviennent dans l’espace public et les débats de société. Ils défendent des conceptions de la vie bonne, proposent des conduites ou des orientations, militent en faveur de tel ou tel droit, valorisent tel point de vue, rejettent un certain nombre de valeurs et de comportements. Bref, comme tous les groupes sociaux, les groupes religieux participent au débat public. Dans les sociétés occidentales, l’Église catholique intervient depuis des siècles dans l’espace public. Diverses théories régulatrices des rapports entre l’Église et l’État (entre le pape et l’empereur), entre le spirituel et le temporel (entre le sceptre et l’autel) ont légitimé au cours des siècles ce droit de l’Église à intervenir dans les questions temporelles. Lors du concile Vatican II, prenant acte du fait qu’elle s’inscrivait de plus en plus dans des sociétés pluralistes, l’Église catholique a mis à jour l’autocompréhesion de son rôle dans les sociétés et de son rapport aux États et aux cultures du monde. Elle a repensé son statut dans le monde, abandonnant la théorie qu’elle avait mise en avant depuis le xixe siècle dans les traités de droit public ecclésiastique. En somme, elle renonçait à se penser, face aux États modernes, comme une société parfaite, analogue à l’État mais souveraine dans son ordre, et non sujette à un autre pouvoir. Suivant cette théorie consacrée par Léon XIII et ses successeurs, l’Église occupait une place unique dans la société et, par rapport à l’État, jouissait d’un statut supérieur en raison du fait qu’elle poursuivait une fin spirituelle. Dans la constitution Gaudium et Spes, elle réfléchit plutôt à son rapport au monde (à la famille humaine, aux sociétés, aux cultures et aux États) à partir des concepts de dialogue, de solidarité, de service (d’aide). Elle se rallie également au principe de la liberté religieuse susceptible de garantir sa liberté d’action. Elle se considère enfin désormais comme un acteur, parmi d’autres, dans l’État et à l’intérieur des cultures et des sociétés, et non plus comme un État face à l’État, ou une réalité qui englobe et comprend l’ensemble de la société. Elle n’est plus une « société parfaite » au-dessus des sociétés, leur assignant leurs fins, mais comme servante (et pauvre) à l’intérieur des sociétés qui ne lui offrent pas de place privilégiée. Pour ainsi dire, l’Église catholique devient citoyenne. L’évolution que l’on observe ne se situe pas seulement au niveau du fondement de son droit à intervenir dans les sociétés et à prendre une part active aux débats sociaux et de faire entendre sa voix dans l’espace public. Le fait de se concevoir comme citoyenne et d’affirmer que c’est au nom de sa solidarité avec la famille humaine qu’elle intervient ; le fait qu’elle engage un dialogue avec les autres acteurs sociaux, proposant dans cet échange la vérité qu’elle « a trouvée ou pense avoir trouvée » (Dignitatis Humanae, 3) et cherchant avec les autres à approfondir cette vérité, modifient également sa manière de s’adresser aux autres. La façon de se comprendre dans la société, le mode de communication avec les autres (l’échange et le dialogue) conduisent à des changements de style. C’est cette question du style, cruciale à Vatican II, que nous avons voulu examiner. La question de départ, d’un projet de recherche sur la parole épiscopale, subventionné par le CRSH, était de vérifier si l’on assistait réellement à un changement de style dans les interventions …

Parties annexes