Recensions

Anne Merker, Une morale pour les mortels. L’éthique de Platon et d’Aristote. Paris, Société d’Édition Les Belles Lettres (coll. « L’âne d’or », 35), 2011, 407 p.[Notice]

  • Louis Brunet

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  • Louis Brunet
    Cégep de Sainte-Foy, Québec

« Bien avant d’avoir des réponses, la philosophie a des questions », affirme d’entrée de jeu Anne Merker. Effectivement, Une morale pour les mortels invite à questionner, à interroger la manière dont il faut vivre. En enracinant sa réflexion philosophique dans celle des Anciens — et tout particulièrement celle de Platon et d’Aristote —, elle fait jaillir des réponses d’une grande sagesse. Tout en faisant participer à une intense réflexion morale, elle s’efforce de donner un accès authentique à une pensée qui, par-delà les particularités de la langue et de la culture grecques, conserve une pertinence intemporelle. Comme on le constate tout au long de la lecture de l’ouvrage, « la valeur et la vigueur de la philosophie antique sont particulièrement avérées pour tout ce qui touche à l’éthique » (p. 16). Sur tous les thèmes abordés — en l’occurrence, la place du désir dans la vie humaine, le poids du corps, le rôle de la pensée, la signification et la nature du bien, la définition de la vertu, le sens de l’intérêt, la nature du plaisir, l’utilisation bonne ou mauvaise de toute chose, la relation à autrui et la relation à soi-même, l’amitié, la puissance de la passion, la nature de l’intention, la question de la responsabilité, de la punition et du châtiment —, Anne Merker a le souci de faire entendre correctement ce que nous dit la Grèce, en évitant de chercher nos concepts modernes dans les textes antiques et en se défaisant des représentations anachroniques. Elle invite, en particulier, à reconsidérer le sens de la volonté — « qui est un désir » — et la signification du bien, pour comprendre le sens de l’éthique. On saura gré à Mme Merker de s’être fondée sur une lecture des textes antiques exclusivement en leur langue originale et d’avoir fourni une traduction personnelle très exacte de toutes les citations. Par ses nombreux coups de sonde étymologiques, elle fait prendre conscience du trésor que constitue la langue grecque, tout en contribuant à faire ressaisir le sens authentique des mots français rencontrés. L’ouvrage s’adresse tant au spécialiste de philosophie ancienne qu’à tout lecteur philosophe ou désireux de philosophie. Ce qui rend sa lecture tout particulièrement intéressante, c’est la préoccupation qui a présidé à son élaboration : « […] faire en sorte que l’histoire de la philosophie, avec toute la rigueur et la technicité qu’elle requiert, soit elle-même de la philosophie vivante ». En conséquence, la priorité a été accordée « à une appréhension synthétique et problématisée de l’éthique de Platon et d’Aristote » (p. 19). La philosophie qu’elle élabore prend d’abord vie dans le langage. Des termes clés pour la morale, tels « il faut », « on doit », « c’est obligé », sont scrutés et distingués avec soin, à partir de leur étymologie respective. Il ressort de cette analyse que la morale exprime de manière privilégiée ses prescriptions à partir du constat qu’« il faut », épousant ainsi la tension du désir vers ce qui manque et qu’on cherche à « prendre ». Une intense activité de réflexion philosophique permet ensuite de comprendre que « ce qu’il faut » est « le bien », que « le bien est le beau » et que le plaisir n’est pas nécessairement le bien. Il sera aussi question de la démultiplication des objets désirables mutuellement contraires, qui appelle une harmonisation, sans laquelle le bonheur ou l’état d’accomplissement parfait resterait hors d’atteinte. Réfléchir sur l’agir humain avec les Grecs, c’est aussi se questionner sur la nécessaire hégémonie de la pensée. Anne Merker nous aide ici à retrouver, avec Platon, le sens de …