Recensions

Jocelyn Groisard, Alexandre d’Aphrodise. Sur la mixtion et la croissance (De mixtione). Texte établi, traduit et commenté. Paris, Société d’Édition Les Belles Lettres (coll. « Collection des universités de France - Série grecque », 494), 2013, cxciv-148 p.[Notice]

  • Richard Dufour

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  • Richard Dufour
    Université Laval, Québec

Les études sur Alexandre d’Aphrodise connaissent un regain d’intérêt ces dernières années, avec la publication de plusieurs traductions des oeuvres du philosophe. C’est un grand plaisir qu’une collection aussi prestigieuse que la « Collection des universités de France », aux Belles Lettres, propose la première traduction française du De mixtione, accompagnée d’une nouvelle édition du texte grec. Nos attentes étaient élevées et elles ne furent pas déçues. Il s’agit d’un ouvrage remarquable, qui se lit comme un charme malgré la difficulté du sujet. Le contenu dérive en grande partie d’une thèse de doctorat soutenue en 2009 à l’École Pratique des Hautes Études à Paris, sous la direction de Philippe Hoffmann. Quatre parties attendent le lecteur : l’introduction, l’étude de la tradition manuscrite, le De mixtione (texte grec et traduction française en regard), et le commentaire. L’introduction est standard. On y trouve les habituelles informations biographiques, la place du De mixtione dans les écrits alexandristes, et les doctrines couvertes par le traité. Il y a peu à dire sur la vie d’Alexandre et sur la chronologie du De mixtione en raison de l’état fragmentaire de nos sources. La doctrine du mélange, en revanche, ouvre des discussions plus élaborées. La théorie aristotélicienne du mélange affronte en effet celle des stoïciens. Alexandre défend la supériorité d’Aristote sur les stoïciens, dont la théorie de la mixtion intégrale des corps fait scandale depuis longtemps. Sextus Empiricus l’a attaquée, Plutarque aussi, et Alexandre la réfute à plusieurs reprises, dans son traité De l’âme, dans la Mantissa et dans son Commentaire à la Physique. Groisard prend soin de montrer que cette doctrine, assignée à Chrysippe, de corps qui s’interpénètrent intégralement les uns les autres n’est pas une caricature forgée par les adversaires des stoïciens. Reconstituer une doctrine ancienne à partir de fragments et de témoignages livrés par des contradicteurs ne va pas en effet sans danger. C’est pourquoi Groisard accorde beaucoup de poids au seul témoin direct de cette doctrine, le stoïcien Hiéroclès, qui défend clairement la compénétration des corps telle que les sources indirectes la décrivent (p. lxxxvii). À cette doctrine stoïcienne authentique Alexandre oppose celle du Stagirite, qu’il tire du traité De la génération et de la corruption, I, 10. Groisard expose donc les articulations de cette théorie chez Aristote : le mélange se produit lorsque des ingrédients, en quantité relativement égale, voient leurs qualités contraires se neutraliser pour engendrer un mixte dans lequel les ingrédients initiaux subsistent en puissance afin de pouvoir, ultérieurement, en être séparés (p. xxxii-xlv). Plus intéressant encore, Groisard décrit les fonctions du mélange aristotélicien, qui explique la génération des couleurs et la génération des corps homéomères. Alexandre, apprend-on, néglige dans le De mixtione le rôle biologique crucial que joue le mélange dans la formation des vivants (p. lxv). L’introduction est limpide et stimulante. L’érudition ne sert qu’à étayer les doctrines exposées, sans tomber dans l’excès ni dans le spectacle. Quelques remarques de détail peuvent cependant être faites, qui ne diminuent en rien les vertus du travail réalisé par Groisard. Nous aurions souhaité voir un plan systématique du traité et non les remarques lapidaires proposées aux pages xix-xx, que l’on peut compléter par d’autres indications aux pages lxxi et xci. Le lecteur aurait bénéficié d’un plan structuré en arborescence, qui guide la lecture et illustre l’enchaînement des parties du traité. De plus, à propos de la chronologie du De mixtione, Groisard affirme que la seule mention de ce traité chez Alexandre se trouve en De l’âme, 20.18-19 (p. xxv). Nous aurions aimé avoir son opinion sur Mantissa 123.12-13, où Alexandre …