Notes critiques

Contre le postmodernisme, contre la raison séculière et le libéralisme économiqueJohn Milbank et « l’orthodoxie radicale »[Notice]

  • Yves Laberge

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  • Yves Laberge
    Centre de recherche en éducation et formation relatives à l’environnement et à l’écocitoyenneté, Centre’ERE, Université du Québec à Montréal

Ce livre du professeur John Milbank est paru initialement en Angleterre en 1990. Ce théologien chrétien anglican, professeur de philosophie et d’éthique à l’Université de Nottingham (Grande-Bretagne) est considéré comme un des fondateurs du mouvement Radical Orthodoxy, qui prône un retour en force de la théologie dans tous les aspects de la vie sociale, dans l’espace public et même dans les théories sociales, comme il l’explique dans son Introduction : « J’ai choisi de combattre ce positionnement séculier de la théologie sur un point particulier : celui des théories sociales » (p. 50). Utilisant une approche critique, John Milbank veut examiner les dimensions scientifique et humaniste de la théorie sociale issue du xixe siècle, à partir des travaux de Marx, Nietzsche, et Max Weber (p. 51). À plusieurs endroits, Milbank réaffirmera que « l’institution du “séculier” procède paradoxalement d’un changement à l’intérieur de la théologie et non d’une émancipation par rapport à la théologie » (p. 91). Autrement dit, l’auteur avance que la sécularisation n’a fait que d’affaiblir la théologie sans pour autant dynamiser ou rendre plus rigoureuses les théories sociales. Ouvrage dense et exigeant, Théologie et théorie sociale au-delà de la raison séculière est éminemment riche en idées audacieuses, en hypothèses originales et en ouvertures interdisciplinaires. L’ouvrage se subdivise en quatre parties touchant les rapports entre « Théologie et libéralisme », « Théologie et positivisme », « Théologie et dialectique », et enfin « Théologie et différence ». En raison de leur haut degré d’approfondissement, chacune de ces quatre parties constituerait presque un livre autonome en soi ; Milbank les identifie plutôt à des « sous-traités, correspondant chacun à une variante distincte de la raison séculière » (p. 53). Règle générale, une « préface à la deuxième édition » est un document intéressant et privilégié : avec le recul, celle-ci permet habituellement à un auteur de mieux préciser sa pensée, de réagir à la critique, de rectifier des interprétations erronées, de faire des déclarations que l’édition initiale ne contenait pas, et d’énoncer autrement le but de son ouvrage. Les critiques apportées à la première édition anglaise de ce livre par des penseurs comme Gavin Hyman permettent désormais à John Milbank de se situer et d’insister sur plusieurs points (p. 26). Ainsi, John Milbank affirme s’inscrire dans la mouvance de la « nouvelle théologie » qui reste ancrée dans le christianisme catholique (p. 30). Dans sa « préface à la deuxième édition », Milbank écrit pour préciser sa position qu’il se voit comme un « libéral », entendu au sens britannique de ce terme (qui demeure ambigu au Québec) : « Si je recommande positivement le christianisme catholique comme seule vérité finale et définitive, j’envisage très clairement le catholicisme en termes “libéraux” si, par “libéral”, on entend généreux, ouvert et récapitulatif » (p. 30). Pour se définir et se situer, John Milbank se considérera comme étant « radicalement traditionnel en termes catholiques, bien davantage que comme un orthodoxe conservateur ou un libéral conventionnel » (p. 41). Dans ce livre fait de méandres, John Milbank s’intéresse particulièrement à certains concepts inusités dans la tradition française, comme la mise en récit et aux métarécits inspirés de plusieurs philosophes, dont saint Augustin (l’un des auteurs les plus cités de ce livre) et Nietzsche, c’est-à-dire à la manière de réinscrire un récit historique dans un autre récit — fictif — là où l’histoire en tant que telle est réorganisée : « Il ne s’agit que d’une “fiction”, dans le sens d’une doublure réfléchie de la “fiction vécue” (la fabrication humaine ; la fabrication de l’humanité) qui compose et met en oeuvre l’histoire …

Parties annexes