Recensions

Jean-François Mattei, La crise du sens. Nantes, Éditions Cécile Defaut, 20082 (2006), 125 p.[Notice]

  • Nestor Turcotte

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  • Nestor Turcotte
    Matane

La crise du sens que nous vivons à l’ère actuelle, qualifiée de postmoderne, affecte l’existence morale et spirituelle des oeuvres et des actions humaines en sa totalité. À la différence du monde antique et du monde chrétien qui, en dépit des guerres, des destructions et des pillages, n’avaient jamais douté des principes sur lesquels était fondée l’existence commune des hommes, l’époque postmoderne semble non seulement avoir perdu le sens, mais avoir renoncé, d’une certaine façon, à le trouver. Le sentiment d’une « crise » retient l’attention de notre époque désenchantée. Pour l’auteur, la science est en crise. La philosophie est aussi en crise et son histoire s’achève dans l’analyse logique du langage. La crise des religions monothéistes atteste aussi qu’elles ne survivent que dans l’indifférence des pratiquants. La négation de l’art, revendiquée par les artistes contemporains depuis Dada, après avoir effacé le visage de l’homme et offusqué le paysage du monde, a mis à mal l’oeuvre elle-même au profit du non-art, et de ce fait, a aboli tout sens. La crise est aussi économique et la conversion chinoise en capitalisme effréné n’est là que pour constater que les riches sont de plus en plus riches et les pauvres, de plus en plus pauvres. Le relativisme ambiant gagne même le monde de la culture qui met sur le même plan toutes les productions de l’homme. Toujours selon l’auteur, l’homme postmoderne, ayant perdu le sens, se distingue de ses devanciers en se dérobant à la transcendance, dans la droite ligne d’un sujet qui ne fait appel qu’à lui-même pour exister. Le sujet moderne détourne son regard de toute essence extérieure et l’incline vers soi, en se repliant sur le moi. Cet individualisme généralisé coupe les hommes de leurs orientations communes, engendre une fragmentation des individus et s’interdit de s’ouvrir sur l’altérité d’un Bien universel. L’homme chrétien fondait la dignité de la personne en Dieu ; l’homme moderne fonde la sienne uniquement sur lui-même. Il se détourne des vérités éternelles pour se retirer dans sa propre intériorité. Seule la transcendance peut arracher l’homme à ce vertige du sujet qui, effondré en son propre fond, ne découvre en soi que le vide. L’homme, sujet transcendantal, dénué de transcendance, n’a d’autre issue que la fuite dans le relativisme généralisé. L’ensemble des thèses postmodernes tirent leur source du renversement du platonisme et du désir de déconstruire toutes les configurations de sens. La période moderne accordait une signification au transitoire, au fugitif et au contingent. La pure postmodernité reflue vers une surface de pure immanence dans la dissémination infinie du sens. Tout se perd et tout se vaut dans cet univers engorgé de signes, de montages et de collages qui, le rapport mimétique au réel aboli, fait scintiller le faux-semblant des simulacres dans la confusion des valeurs. Notre époque est alors vouée au relativisme sans qu’il soit possible de retrouver les points de repères qui donnaient jadis une orientation à l’existence. L’homme postmoderne s’avère incapable de trier, et ainsi de faire époque sur un mode autre que celui de la répétition et de la dérision. Le champ est libre pour exalter le relativisme généralisé d’une culture qui a rompu avec ses propres racines. L’histoire nous apprend cependant que toutes les sociétés obéissent à un ensemble de normes morales issues d’anciennes prescriptions religieuses. Les Stoïciens comparaient la vie humaine aux trois parties d’un oeuf, dont la coquille serait la logique, ou les règles de la connaissance, le blanc, la physique, ou les règles de la nature, et le jaune, l’éthique, ou la pratique réfléchie de la morale. La coquille apparente protégeait et le blanc nourrissait le jaune dissimulé, …