Recensions

Yves Carrier, Le discours homilétique de Mgr Oscar A. Romero. Les exigences historiques du Salut-Libération. Paris, L’Harmattan (coll. « Religion et sciences humaines »), 2004, 324 p.[Notice]

  • Joao-Batista Libanio

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  • Joao-Batista Libanio
    Institut Supérieur des Jésuites, Belo Horizonte, Minas Gerais, Brésil

Yves Carrier traduit cette recension publiée en janvier 2009 dans la Revista Ecclesiastica Brasileira.

La grandeur spirituelle de Mgr Romero, archevêque de San Salvador, est manifeste dans le courage prophétique dont il a su faire preuve en affrontant un système brutal de répression pour la défense des pauvres de son pays. Pendant ces années obscures de persécution, ses homélies devinrent un souffle de liberté et de hauteur spirituelle. Carrier s’est consacré dans sa thèse doctorale, à l’étude minutieuse et profonde des homélies de Mgr Romero. Il nous met en contact avec ce patrimoine spirituel qui mérite d’être visité et revisité, même après que soit passée la tempête militaire. En effet, la situation des pauvres du continent continue de soulever des interrogations semblables à celles de ce temps. Dans l’introduction, l’auteur situe le lecteur en face de l’originalité de la gestation des homélies. Elles diffèrent des prédications habituelles prononcées dans les pays riches et satisfaits d’eux-mêmes. Elles révèlent un aspect libérateur et révolutionnaire, où la spiritualité et l’engagement politique se rencontrent dans une synthèse originale et vigoureuse. Pour des théologiens habitués à la modernité critique, il est étonnant d’être confronté à un discours qui mélange des aspects du discours préconciliaire avec ceux de la théologie de la libération. Celui-ci ne naît pas de la rationalité critique moderne, mais de l’interpellation douloureuse de la réalité sociale du peuple salvadorien. Afin de préparer le lecteur à une meilleure compréhension, Carrier explique la singularité du discours homilétique romérien d’unir l’axe exégétique à celui de la réalité concrète et historique où vivent les fidèles à qui Romero s’adresse. Ainsi, le prédicateur devient le médiateur entre la Parole de Dieu lue dans la célébration et la communauté ecclésiale de laquelle il est membre avec sa propre trajectoire existentielle. Pour cela, il doit connaître les deux marges (dimensions) dont il constitue le pont. Mgr Romero évolua d’une formation traditionnelle vers un croissant engagement libérateur, touché, ou si l’on veut, converti par le martyre du jésuite Rutilio Grande. Il s’approcha des Écritures avec un regard historique-critique du texte et de la situation conflictuelle du pays, aidé en cela des experts en sciences sociales. Dans son cas, l’homélie acquiert un poids particulier parce qu’elle provient de l’autorité ecclésiastique ayant la plus forte influence, comme archevêque de la capitale. Il accomplit cette mission dans l’esprit de Vatican II comme serviteur du Peuple de Dieu. L’authenticité des homélies fut marquante à cause de la cohérence existante entre le message et le messager. L’archevêque renonça à habiter dans une luxueuse demeure offerte par la bourgeoisie salvadorienne pour occuper une chambre modeste à l’hôpital des cancéreux de San Salvador. Aussi, il était presque le seul à prononcer une parole de vérité en ces temps de bâillonnement des discours. Même lorsqu’il s’aperçut que sa vie était menacée, il ne voulut pas abandonner son peuple. Il fut fidèle jusqu’à la mort. Il se disait « la voix des sans voix ». Témoignage bien jésuite. Les homélies étaient longues. Parfois, elles dépassaient une heure, atteignant deux heures vers la fin de sa vie. Il s’agissait davantage que d’une simple homélie dominicale. Elles se transformaient en véritables cours magistraux, moment d’alimentation spirituelle de la foi et de l’espérance pour un peuple dans un contexte terrible de souffrance. Leur longueur n’empêchait pas que le peuple demeure fidèle et attentif à ses paroles. Les gens ordinaires qui y assistaient recevaient un véritable baume pour leur cœur souffrant. Romero parvient à rejoindre plusieurs millions d’auditeurs. Certaines enquêtes d’audience recensent que 70 % de la population du pays l’écoutait. Même ses ennemis l’écoutaient, mais avec d’autres intentions. Pendant les dernières semaines de sa vie, les homélies furent diffusées sur onde courte vers …