Recensions

Jean Lacoste, Les aventures de l’esthétique. Qu’est-ce que le beau ? Paris, Bordas (coll. « Philosophie présente »), 2003, 272 p.[Notice]

  • Joëlle Boivin

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  • Joëlle Boivin
    Université Laval, Québec

L’Idée du beau est aujourd’hui malmenée et discréditée de toutes parts. Tenter de définir le beau, s’évertuer à établir une norme permanente et universelle de la beauté est devenu une mission des plus périlleuses pour le philosophe de l’art, tout comme pour l’homme ordinaire il s’avère pénible de poser un quelconque jugement sur les oeuvres contemporaines qui lui sont présentées. En effet, le beau semble désormais appartenir au passé. Tel est le constat, présenté dans l’introduction de cet ouvrage, qui mène Jean Lacoste à se poser à nouveau la question : Qu’est-ce que le beau ? Pour y répondre, il se penchera d’abord sur les causes de cette crise du jugement esthétique en proposant une généalogie de la notion de beau idéal. Après cette révision des définitions classiques du beau et du rôle de l’Idée du beau dans la création artistique, Lacoste examine la possibilité de définir la beauté moderne dans le but de proposer enfin une « description de l’expérience esthétique qui place en son centre la notion d’attention » (p. 9), ce qui rend possible la compréhension de l’expérience moderne de la beauté comme « attention inattentive ». L’analyse de la notion de beauté présentée ici est centrée uniquement sur la peinture. Un exemple seulement y fait exception, le scanning, méthode de création musicale contemporaine développée par Anton Ehrenzweig. Bien que l’auteur justifie cette limitation en soulignant que les différentes étapes de l’évolution de l’Idée du beau y sont davantage perceptibles, elle apparaît problématique si on considère que les arts se développent en s’influençant mutuellement, et jamais en vase clos. Le parcours théorique de Lacoste débute dans l’Hippiasmajeur de Platon, où il puise quatre définitions canoniques de la beauté formelle, qui, opposée à la beauté idéale exigeant une ressemblance parfaite entre le modèle et la copie, comme le montre Socrate à son interlocuteur, pose la question de l’objectivité du critère esthétique. Il semble que l’auteur justifie cette référence constante au dialogue de Platon par le fait que Socrate est celui qui a, le premier, ouvert le débat esthétique sur la définition objective de critères de beauté. Ainsi, Lacoste s’attarde à définir l’harmonie, l’utile, le bien et le plaisir de la couleur à partir des définitions que suggère Socrate, tout en renvoyant à des occurrences de chacune de ces définitions dans l’histoire de l’art et de la pensée sur l’art. Une fois cette première étape accomplie, Lacoste recentre son enquête sur l’Idée du beau, conçue depuis l’Antiquité soit comme l’idée subjective de l’artiste, soit comme une norme objective. De la première conception du beau formulée par Plotin qui, rejetant la critique platonicienne de l’art mimétique, soutient que la forme de l’oeuvre se trouve dans la pensée de l’artiste plutôt que dans la matière, il aboutit à la fameuse doctrine de l’ut pictura poesis, de la peinture, telle qu’entendue par Poussin, comme « révélation dans l’art d’une perfection » (p. 81), et à sa critique par Diderot. Si pour Poussin la peinture doit susciter une méditation, pour Diderot elle doit surtout susciter l’émotion de façon à transformer le spectateur. Ainsi, Diderot découvre la sensibilité, mais aussi l’historicité (la variabilité selon les époques, les sociétés, les régimes politiques, etc.) de l’idéal de beauté. Vient ensuite Winckelmann, instigateur de la redécouverte de l’art grec et inventeur de l’histoire de l’art. Ce faisant, tous les éléments historiques qui mèneront ultérieurement au grand débat entre le classicisme et le romantisme, présenté au troisième chapitre, sont mis au jour. Dans ce troisième chapitre, le lecteur se voit informé que si Diderot et Winckelmann s’entendaient tous deux sur la prééminence de …