Recensions

Marcel Conche, Quelle philosophie pour demain ? Paris, Presses Universitaires de France (coll. « Perspectives critiques »), 2003, 160 p.[Notice]

  • Nestor Turcotte

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  • Nestor Turcotte
    Matane, Québec

Dans ce court essai, l’A. campe immédiatement son sujet : l’époque des systèmes philosophiques est définitivement révolue. Ceux-ci donnent naissance au scepticisme généralisé, non pas comme mode passagère, mais comme courant philosophique permanent, lié à l’esprit du temps, comme essentiel à la philosophie même. Jusqu’ici, la philosophie a erré du fait d’une prétention absolutisante. L’A. y voit une erreur historique. L’objet de la philosophie culmine, selon la tradition, dans quelque réalité au-delà de l’expérience. La philosophie est d’abord et avant tout le domaine de la métaphysique. Comme la métaphysique n’a affaire qu’à ce qui est au-delà de l’expérience, elle ne peut être une science, au sens expérimental du terme. Ainsi, la philosophie vit constamment dans l’incertitude. Celle-ci ne peut que s’essayer à comprendre. L’A. fait sienne la pensée des philosophes grecs antérieurs à Platon : « En réalité, nous ne savons rien, car la vérité est dans l’abîme ! » (Diogène Laërce, IX, 72). Il y a donc une connaissance vulgaire et il y a une connaissance scientifique : il n’y a pas et n’y aura jamais de connaissance philosophique. Avec Montaigne, l’A. redécouvre l’étonnement et l’interrogation qui sont au coeur de la pensée grecque. La philosophie, sans jamais trouver de solution définitive, retrouve ainsi tout son sens et son essence même — cette philosophie que la théologie (à partir de Descartes) a radicalement égarée. Même si tous les hommes désirent naturellement savoir (Aristote), ils n’entendent que du bruit et ils ne savent rien. Seuls les dieux, selon Homère, qui inspire toute la pensée philosophique grecque, savent tout. La condition humaine est condition d’ignorance. Qu’est-ce que cela signifie ? Non pas la résignation, mais un défi à relever. Jusqu’ici, le questionnement était enfermé dans le cadre d’une société particulière. L’humanité, depuis certains événements récents — l’A. fait référence à l’effondrement des tours jumelles du World Trade Center de New York —, est entrée dans une sorte d’expérience de l’unité humaine. Dès lors, la question est : quelle philosophie pour une humanité pleine de contrastes, de contradictions, mais cependant, d’une certaine manière, unifiée ? L’A. propose un oecuménisme philosophique, lequel ne touche pas le domaine de la morale puisque celle-ci est devenue universelle, étant liée à la reconnaissance des droits de l’homme, mais touche surtout le domaine métaphysique. La voie à suivre ? Le retour à la plus initiale pensée grecque, antérieure à Platon et Aristote. Pour l’A., la philosophie (entendons la métaphysique) est la recherche de la vérité, non du bonheur. En cela, l’A. se situe du côté de Montaigne. La vérité philosophique ne sera jamais l’objet d’une connaissance absolue qui mettrait un terme à la recherche. La question sera toujours de savoir ce qu’il en est du Tout de la réalité. L’A. ne verse donc pas dans l’équivoque : la Nature est le Tout de la réalité. Il écarte les problèmes qui font intervenir des notions n’ayant de sens que par la Révélation : ainsi les notions de « Dieu transcendant », d’« au-delà ». Il ne s’interdit pas de parler du « divin », du « sacré », mais en un sens immanent. La vérité n’est donc pas « révélée » — n’est pas donnée. Elle est à l’horizon d’un chemin où l’homme n’a d’autre guide que sa « raison naturelle ». Ce chemin est infini : la philosophie n’est pas susceptible d’achèvement. Le philosophe peut en venir à des « convictions vécues », mais elles ne sont pas susceptibles de preuves irréfragables. Il n’y a plus de certitude absolue. Il convient donc de philosopher, non pas en s’enfermant dans ses pensées, comme les philosophes idéalistes, à la …