Recensions

Marsile Ficin, Les trois livres de la vie. Traduit en français par Guy Le Fèvre de la Boderie et révisé par Thierry Gontier. Paris, Librairie Arthème Fayard (coll. « Corpus des oeuvres de philosophie en langue française »), 2000, 276 p.[Notice]

  • Yvan Morin

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  • Yvan Morin
    Université Laurentienne, Sudbury

En publiant les Trois livres de la vie, Thierry Gontier ne révise pas seulement la traduction de Guy Le Fèvre de la Boderie, mais rend plus facilement accessible au public, en français, un ouvrage important de Ficin. La vie saine, longue et acquise du Ciel, tels sont les thèmes respectifs des trois livres. Car, en particulier chez les studieux, il s’agit de soigner, de prolonger et d’accorder sa vie avec celle du Ciel. L’édition française est complétée par deux courts textes apologétiques de Ficin, ainsi que d’une lettre dédicatoire et de sonnets de Guy Le Fèvre de la Boderie, sans compter un appendice où Thierry Gontier traduit le chapitre XVI du livre III que Le Fèvre de la Boderie aurait omis. Il resterait à développer un appareil critique pour mieux comprendre et situer cet ouvrage de Ficin, ce que Gontier esquisse en soulignant l’absence de raisons apparentes à cette omission et en soulevant quelques questions à titre de premières hypothèses, dont celle de la prudence sur la question des images dites talismaniques. À tout le moins, mettons-en évidence le contexte historique afin de mieux s’avancer sur une telle voie. Notons, en particulier, que le chapitre XVI en question se réfère au premier livre important de Ficin, à savoir De l’amour, lequel est un Commentaire du banquet de Platon. Or, c’est en critiquant ce livre, dans son Commento, que Pic a initié son débat avec Ficin. De plus, tout le livre III s’inspire principalement d’un platonisme mêlé d’astrologie et, en particulier au chapitre XIX, Ficin se réfère explicitement à Pic qui « a ces derniers jours divinement exprimé les divins mystères de Moyse touchant la Genèse du monde » (p. 215). Ceci nous renvoie à l’Heptaple que Pic a publié peu de temps auparavant, soit la même année. De fait, l’année 1489 constitue le point tournant dans le débat entre Ficin et Pic. En effet, les publications ultérieures du traité L’être et l’un et du volumineux ouvrage Contre l’astrologie font clairement ressortir que Pic n’est plus du tout d’accord avec le platonisme plotinien inspirant Ficin et encore moins avec l’astrologie qu’il sous-tend et qui est tout ce qu’il y a de plus anti-chrétien. On ne saurait sous-estimer la virulence, si feutrée et filtrée soit-elle, ou l’extension, à d’autres gens de l’époque, de cette seconde phase du débat entre Ficin et Pic. Toutefois, elle ne peut être correctement abordée qu’en se rappelant d’abord que Ficin, après avoir composé De l’amour, lui a adjoint deux autres ouvrages majeurs, à savoir la Théologie platonicienne et la Religion chrétienne, les deux premiers ayant été traduits en français par Raymond Marcel. Quant au troisième, il a aussi été traduit par Guy Le Fèvre de la Boderie (mais demeure encore difficilement accessible) et a été publié en 1578, soit quatre ans avant que ne paraisse, en 1582, sa traduction des Trois livres de la vie. Or, Le Fèvre de la Boderie, après avoir introduit cet ouvrage en insistant sur son utilité pour défendre le christianisme, affirme alors explicitement l’existence d’une communauté d’esprit avec Pic, dont le Discours de la dignité humaine se trouve même traduit et adjoint à l’ouvrage de Ficin. Cela indique autant la perception que les gens de l’époque pouvaient avoir de la relation entre Ficin et Pic que la principale raison pour laquelle leur débat n’est véritablement apparu qu’avec la mise à jour, par Garin, au milieu du xxe siècle, d’une version non expurgée du Commento où Pic critique le livre De l’amour. On commence aussi à mieux percevoir le rôle que peut jouer …