Introduction

L’enseignement supérieur en recomposition[Notice]

  • Joanie Cayouette-Remblière et
  • Pierre Doray

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  • Joanie Cayouette-Remblière
    Chargée de recherches — Institut National d’Études Démographiques (INED)

  • Pierre Doray
    Professeur, Département de sociologie — Université du Québec à Montréal
    Chercheur régulier du Centre interuniversitaire de recherche sur la science et la technologie (CIRST)

Au cours des soixante dernières années, l’enseignement supérieur a connu, au gré de multiples réformes souvent majeures (Fullan, 2000), une profonde recomposition. Entendu au sens large et incluant l’ensemble des études et pratiques éducatives dites « postsecondaires » au Québec et « postbaccalauréat » en France, l’enseignement supérieur fait désormais partie du quotidien d’un nombre croissant de personnes, jeunes et moins jeunes, qui fréquentent les différents établissements scolaires qui le composent. Le passage par ses murs est devenu la voie nécessaire pour l’accès à de nombreux emplois et professions. L’organisation même du champ a connu diverses modifications, que ce soit en réaction à l’accroissement des effectifs (transformation des modalités de sélection et d’orientation, hiérarchisation des structures et établissements), en raison de la circulation et de la diffusion des normes et modèles internationaux, ou encore du fait de sa perméabilité avec les transformations sociétales et la conversion des politiques publiques (Allouch et Noûs, 2020). Devant ces profonds changements et les enjeux éducatifs et sociaux que revêt l’enseignement supérieur dans la plupart des sociétés, ce numéro de Lien social et Politiques examine divers aspects de ces transformations en croisant différentes échelles d’action publique, de la fabrique et de la mise en oeuvre des politiques aux trajectoires et aux expériences étudiantes, en passant par l’analyse du rôle des instruments de gestion. L’analyse sur le long terme de l’enseignement supérieur remet en question l’impression d’une dynamique de « crise » (Bodin et Orange, 2013) ou plus généralement l’illusion de la nouveauté : elle rappelle à quel point l’enseignement supérieur est en réalité en recomposition permanente (Charle et Verger, 2012 ; Goastellec, 2020). Ce constat rend d’autant plus nécessaire l’exercice auquel propose de se prêter ce numéro, à savoir circonscrire les formes de ces recompositions. L’enseignement supérieur connaît d’abord une expansion démographique sans précédent. En France, l’évolution des effectifs étudiants a été si rapide qu’elle a même pris de court les prévisions. Dans un état des lieux de l’enseignement supérieur publié en 2015 (Dauphin, 2015), les services ministériels rappellent que le nombre d’étudiant·es est passé de 310 000 en 1960 à 2,4 millions en 2013, soit un rapport de 1 à 8, et ils prévoient qu’en 2020, ce seront 2,6 millions d’étudiant·es qui étudieront en France. Or, l’augmentation a été encore plus importante, et ce sont 2,9 millions d’inscriptions que compte la France au passage de la décennie – et 100 000 de plus l’année suivante encore (DEPP, 2022). Au Québec, un peu plus de 50 000 étudiant·es étaient inscrit·es à l’université en 1966 ; en 2010, elles et ils sont plus de 280 000 et en 2021, plus de 315 000 (voir Doray, Kongo et Bilodeau-Carrier dans ce dossier). Plus largement, l’UNESCO estime que les effectifs de l’enseignement supérieur ont doublé dans le monde au cours des vingt dernières années, portant le nombre d’étudiant·es à 235 millions en 2022. Ces évolutions démographiques, ainsi que la transformation des politiques universitaires et des programmes de formation, provoquent de multiples conséquences : reconfigurations des instruments d’orientation et de sélection des étudiant·es ; évolution des normes institutionnelles et éducatives de gestion et de régulation au sein des écoles supérieures et des universités ; sens nouveau des études supérieures considérées à travers le prisme des injonctions à la professionnalisation ou encore celui de la mobilité sociale ; importation dans l’enseignement supérieur de problématiques qui concernaient auparavant les seuls enseignements primaires et secondaires, sommés de scolariser des générations entières (lutte contre le décrochage et l’échec scolaires, gestion disciplinaire d’élèves aux dispositions éloignées des attentes scolaires…) (voir Muel-Dreyfus, 1975 ; Cayouette-Remblière, 2016 : chap. 2). L’enseignement supérieur connaît également une diversification …

Parties annexes