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Introduction

Dans la structure hétérogène des PME, un certain nombre d’entre elles, dynamiques et innovantes, ont décidé d’être actives sur le plan international. Ces PME innovantes qui déploient d’emblée leurs activités à l’international constituent, depuis une vingtaine d’années, une nouvelle génération d’entreprises, qualifiées par Servantie (2007) ainsi que Bacq et Coeurderoy (2010) d’entreprises à internationalisation rapide et précoce (EIRP). Ces EIRP sont également connues sous le terme anglophone de born globals (BG).

Dans la littérature sur les EIRP, certains travaux soulignent l’importance des réseaux sociaux dans leur dynamique d’internationalisation (Coviello, 2006 ; Sepulveda et Gabrielsson, 2013), d’autres mettent l’accent sur la recherche d’opportunités (Sullivan Mort et Weerawardena, 2006) ou encore sur l’existence de manoeuvres spécifiques pour repérer les acteurs clés (Elidrissi et Hauch, 2012). Ces auteurs démontrent que les réseaux sociaux sont utiles dans la découverte et la saisie d’opportunités à l’international, mais aussi lors du démarrage de l’entreprise sur les marchés étrangers (Sepulveda et Gabrielsson, 2013). De plus, les réseaux sociaux sont reconnus, dans cette littérature, comme apportant aide et conseil pour faciliter les démarches d’internationalisation. Dans le même temps, d’autres travaux ont cherché à améliorer la compréhension (Laghzaoui, 2009 ; Pagano, 2009) et l’identification des compétences nécessaires à leur expansion à l’international (Pantin, 2004 ; Ruzzier, Antoncic, Hisrich et Konecnik, 2007 ; Cabrol et Favre-Bonté, 2011 ; Coeurderoy, Davidsson, Lwango, Murray et Tywoniak, 2013). Toutefois, et malgré leur intérêt, nous constatons trois limites majeures à ces études. Premièrement, elles ne nous renseignent guère sur la nature des compétences relationnelles mobilisées. Par exemple, Madsen et Servais (1997), en cherchant à comprendre les facteurs déterminants du processus d’internationalisation rapide et précoce des EIRP, démontrent que l’internationalisation s’appuie sur des compétences déjà acquises par l’expérience à l’international et les réseaux dans lesquels l’entrepreneur se situerait. En revanche, les auteurs ne précisent pas la nature de ces compétences. En 2006, Sullivan Mort et Weerawardena reconnaissent la qualité des réseaux sociaux des EIRP comme facteur favorable à leur développement, sans pour autant traiter des compétences à mobiliser dans ces réseaux. Deuxièmement, les études antérieures s’intéressent souvent soit aux compétences individuelles de l’entrepreneur à l’international (Ruzzier et al., 2007 ; Cabrol et Favre-Bonté, 2011 ; Coeurderoy et al., 2013), soit aux compétences globales de l’entreprise (Laghzaoui, 2009 ; Pagano, 2009 ; Schreiner, Kale et Corsten, 2009) et ignorent ainsi les autres niveaux des compétences, que sont les compétences collectives et interorganisationnelles, ainsi que l’articulation entre les quatre niveaux d’analyse de la compétence. Troisièmement, nous constatons que, lorsque les travaux évoquent les compétences relationnelles dans les EIRP (Sullivan Mort et Weerawardena, 2006 ; Laghzaoui, 2009), ils ne cherchent pas à comprendre leur dynamique de construction et de développement sous-jacente.

Afin de pallier ces manquements, notre recherche, à l’interface de la GRH, de l’entrepreneuriat international et de la stratégie, vise à répondre à la question suivante : comment se construisent et s’articulent les quatre niveaux de compétences relationnelles (individuel, collectif, organisationnel et interorganisationnel) mobilisées dans le développement des EIRP ? Notre recherche ambitionne ainsi d’améliorer la compréhension de la dynamique des compétences relationnelles dans le développement des EIRP, et ce, en nous intéressant à la fois à l’identification, l’émergence et la combinaison des quatre niveaux de compétences.

Pour répondre à cette question de recherche, nous avons mené une étude exploratoire, reposant sur une démarche qualitative, centrée sur une analyse de données issues d’une série d’entretiens avec des entrepreneurs-dirigeants d’EIRP et des experts de leur développement. Les résultats de ce travail permettent d’aller au-delà de la simple identification des compétences relationnelles mobilisées lors du processus d’internationalisation des EIRP, dans la mesure où nous mettons en évidence différents mécanismes sous-jacents d’émergence, de développement et d’articulation de ces compétences. L’originalité de notre recherche réside notamment dans la prise en compte simultanée des quatre niveaux d’analyse de la compétence : individuel, collectif, organisationnel et interorganisationnel.

Dans une première partie, nous présentons l’analyse de la littérature, laquelle nous permet de définir les concepts clés de notre recherche et de préciser les contours du phénomène étudié. Dans une deuxième partie, nous proposons de mobiliser les résultats des travaux antérieurs sur la notion de compétence et ses différents niveaux d’analyse, ce qui nous amène alors à considérer le concept de compétence relationnelle comme étant, par nature, multiniveaux. Dans une troisième partie, nous détaillons la méthodologie mise en oeuvre pour apporter des éléments de réponse à notre question de recherche. Dans une quatrième partie, nous exposons les principaux résultats de notre étude. Enfin, dans une dernière partie, nous discutons et concluons sur les principaux apports théoriques et managériaux de notre recherche, ainsi que sur ses prolongements futurs.

1. Des EIRP aux compétences relationnelles : définition des concepts clés et revue de littérature

Dans cette première partie, nous proposons une synthèse de la littérature nous permettant d’abord de définir et caractériser les EIRP comme des PME innovantes directement (ou rapidement) globales (1.1.), puis d’établir les manquements de la littérature sur le phénomène qui nous intéresse (1.2.).

1.1. Définitions et caractérisation des EIRP

La terminologie born global (BG) est apparue pour la première fois dans la littérature lors de la rédaction d’un rapport pour McKinsey & Company sur l’importance des exportations des PME australiennes (Rennie, 1993). Par la suite, ce concept issu du champ de recherche consacré à l’entrepreneuriat international défie le modèle d’internationalisation graduel d’Uppsala (Johanson et Vahlne, 1977). En effet, contrairement au processus classique qui voulait que les entreprises croissent d’abord sur leur marché national, les BG sont des entreprises de création récente, ayant un projet d’internationalisation inscrit d’emblée dans le développement de leur activité. Elles sont souvent petites en termes financiers et humains, en comparaison aux grandes entreprises longtemps considérées comme leaders dans les échanges, marchés ou investissements internationaux. Les BG sont en revanche souvent leaders sur les technologies et les innovations qu’elles développent, malgré leur petite taille. Dès lors, elles affichent un comportement dynamique à travers un processus d’internationalisation très rapide lié à la multiplication des moyens de transport, la diffusion de l’information et l’accélération du phénomène de mobilité internationale du capital humain et financier (Oviatt et McDougall, 1994).

L’originalité de cette forme organisationnelle a suscité de nombreux travaux théoriques et empiriques afin d’en préciser les contours (Oviatt et McDougall, 1994). D’autres travaux ont insisté sur les relations personnelles de l’entrepreneur, issues de son expérience à l’international, et qui sont nouées au sein d’un solide réseau d’affaires (Knight et Cavusgil, 1996 ; Madsen et Servais, 1997 ; Servantie, 2007), ou encore sur les capacités à s’appuyer sur un avantage distinctif (Servantie, 2007 ; Bacq et Coeurderoy, 2010). Cependant, les réflexions menées sur le concept de BG, depuis plus d’une vingtaine années, n’ont pu aboutir ni à la proposition d’une définition communément admise ni à une appellation unique[1]. En effet, depuis la définition originelle des BG, vues « comme des entreprises qui ont commencé à exporter, en moyenne, seulement deux ans après leur création et, dont le chiffre d’affaires à l’exportation représente 76 » (Rennie, 1993, p. 46), d’autres définitions sont venues enrichir le concept. Nous ne reprendrons ici que celles qui sont en lien avec notre questionnement, comme celle de Servantie (2011, p. 69) qui préfère parler d’EIRP et pour laquelle « il s’agit d’entreprises, dont on peut observer, dès la phase de démarrage, une capacité à développer et à coordonner des liens réguliers avec l’étranger (aussi bien pour la réunion de ressources que pour la diffusion de l’offre) ». Pour leur part, Bacq et Coeurderoy (2010, p. 113) approfondissent les caractéristiques de l’EIRP en précisant que celle-ci est « une entreprise qui s’internationalise dès sa création, soit en moyenne trois ans après sa naissance juridique (pour un maximum de six années) ; qui passé ce laps de temps, est présente sur divers marchés étrangers (sans pour autant être nécessairement globale) ; et, dont l’avantage concurrentiel est fondé sur l’innovation ».

Malgré le manque de consensus pour définir le concept d’EIRP, nous avons relevé, à l’instar de Bacq et Coeurderoy (2010), trois caractéristiques communes dans la littérature spécialisée : (1) leur jeunesse : l’EIRP est une entreprise qui s’internationalise dès sa création ou peu de temps après, soit en moyenne trois ans après sa naissance juridique pour un maximum de six années ; (2) l’étendue de leur activité internationale (implication dans plus d’un pays) ; (3) l’avantage concurrentiel fondé sur l’innovation. Dans le tableau 1, nous proposons une synthèse des caractéristiques majeures récurrentes des EIRP dans les définitions proposées par la littérature.

Tableau 1

Caractéristiques majeures des EIRP

Caractéristiques majeures des EIRP

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1.2. De l’importance des réseaux sociaux à la nécessité de prendre en compte les compétences relationnelles

Les travaux de Coviello (2006) mettent en lumière le fait que le développement des EIRP est renforcé par les relations personnelles et interorganisationnelles nouées avec des partenaires stratégiques pour réaliser des affaires. L’internationalisation de ces PME ne repose donc pas uniquement sur un effort intensif lié à l’innovation, il faut également s’intéresser aux relations qu’elles peuvent nouer avec des acteurs de leur environnement. Les réseaux sociaux sont ainsi souvent mobilisés pour expliquer la dynamique de ce type d’entreprises.

L’approche par les réseaux sociaux est empruntée à la sociologie économique (Granovetter, 1973 ; White, 1992). Selon Wasserman et Faust (1994, p. 20), un réseau social est « un ensemble fini d’acteurs et de relations définies entre eux ». Selon ces auteurs, les relations entre acteurs ont inévitablement un caractère social, mais peuvent être de nature très variée : échanges d’informations, amitié, liens hiérarchiques, d’affaires, etc. De plus, depuis les travaux fondateurs de Granovetter (1973), les relations sont envisagées en fonction de la force du lien unissant les protagonistes. Si ces relations s’inscrivent sur la durée, alors on parlera de liens forts. Si, au contraire, les relations sont épisodiques et ne comportent pas de dimensions affectives, alors on les qualifiera de liens faibles. L’entrepreneur peut ainsi, sur la base de liens forts, mener ses actions dans un environnement « sécurisé » par des acteurs bienveillants. Grâce aux liens faibles, souvent plus variés, il lui est possible d’obtenir des informations diverses sur ses marchés et sa position concurrentielle (Dibiaggio et Ferrary, 2003).

Dans le domaine des EIRP, deux thèmes mobilisent l’attention des chercheurs : d’une part, l’apport des réseaux sociaux à la dynamique d’internationalisation et, d’autre part, l’évolution de la structure des réseaux sociaux au fil du développement international de l’entreprise. Pour ce qui est du premier thème, des recherches récentes (Partanen, Chetty et Rajala, 2011 ; Sepulveda et Gabrielsson, 2013) montrent que les réseaux, qu’ils soient domestiques (Zhou, Wu et Luo, 2007) ou constitués de partenaires étrangers (Knight et Cavusgil, 2004 ; Boari, Fratocchi et Presutti, 2011), contribuent grandement au succès de ce type d’entreprises, en les aidant à identifier de nouvelles opportunités à l’étranger ainsi qu’en améliorant leur connaissance des marchés. Le second thème, ayant trait à la dynamique des réseaux sociaux, met l’accent sur la dimension délibérée et construite des relations nouées lors du développement des EIRP. C’est ainsi que Coviello (2006) montre que les réseaux à l’international des entreprises néo-zélandaises deviennent moins denses au fil du temps, mais nettement plus étendus, augmentant ainsi leur capital social. De plus, l’auteur note l’effort effectué par ces entreprises en matière de management de leurs réseaux. Sullivan Mort et Weerawardena (2006) défendent la même idée en montrant que les EIRP australiennes construisent et entretiennent activement des réseaux de relations stratégiques pour leur entrée sur les marchés internationaux. Pour ces auteurs, la démarche des entreprises en matière de construction de réseau s’avère proactive et leurs capacités relationnelles améliorent l’identification et l’exploitation d’opportunités de marché. En France, également, les résultats d’une recherche menée par Elidrissi et Hauch (2012) soulignent l’existence de manoeuvres spécifiques élaborées par les PME innovantes pour assurer le repérage des acteurs clés de leur environnement international et pour améliorer leur visibilité dans ces milieux d’affaires, même si les entrepreneurs étudiés gardent une vision très vague de leurs réseaux sociaux. Dans ce contexte, le concept de réseaux sociaux présente davantage un pouvoir explicatif qu’opératif ; nous savons comment ces réseaux favorisent l’internationalisation, mais nous ignorons comment les construire et les développer. Un travail sur l’intégration de ce concept à la notion de compétence relationnelle pourrait lever cette limite en lui permettant d’en faire un réel levier stratégique.

Plusieurs études cherchent à améliorer la compréhension du processus d’internationalisation des PME, en y intégrant l’approche par les compétences[2] (Pantin, 2004 ; Ruzzier et al., 2007 ; Laghzaoui, 2009 ; Coeurderoy et al., 2013). Cependant, bien que constituant un premier pas vers l’identification des compétences nécessaires aux EIRP et à leurs dirigeants pour leur projet à l’international, cette littérature aborde de façon anecdotique leur dimension relationnelle. En effet, le processus d’internationalisation nécessite la mobilisation d’un ensemble de ressources et de compétences. Ainsi, à partir de l’étude longitudinale du cas d’une PME industrielle, Pantin (2004) confirme que la conduite du processus d’internationalisation dépend largement des compétences de l’équipe dirigeante. Ses résultats soulignent la distinction à opérer entre, d’une part, les compétences stratégiques initiant et construisant le processus d’internationalisation et, d’autre part, les compétences qualifiées d’opérationnelles rendant possible la mise en oeuvre de ce changement. Selon Laghzaoui (2009), les compétences relationnelles sont nécessaires, mais ne peuvent être pleinement exploitées que si l’EIRP dispose d’une grande capacité de « réseautage ». Dans le contexte de l’expansion des EIRP, ce sont les compétences des dirigeants et leur expérience à l’international qui seront particulièrement sensibles. De surcroît, leur capacité à établir des contacts, construire un réseau relationnel et développer un capital social à l’international se révèlent stratégiques (Pantin, 2004 ; Ruzzier et al., 2007).

Toutefois, bien que constituant un premier pas vers l’identification des compétences nécessaires aux EIRP et à leurs dirigeants pour leur projet à l’international, nous constatons que ces études, si elles soulignent l’importance de leur dimension relationnelle, ne vont pas plus avant dans l’identification de ce type de compétences spécifiques, ni dans la compréhension de leur genèse ou la considération des multiples niveaux d’analyse à prendre en compte, qu’ils soient individuels, collectifs, organisationnels ou interorganisationnels. Tous ces constats nous amènent à considérer qu’il est indispensable d’approfondir la compréhension des compétences relationnelles mobilisées dans le développement des EIRP.

2. Une approche multiniveaux de la compÉtence relationnelle

Dans cette deuxième partie, nous proposons d’abord de mobiliser les résultats des travaux antérieurs sur le concept de compétence et ses différents niveaux d’analyse (2.1.). Nous présentons ensuite le concept de compétence relationnelle comme étant par nature multiniveaux (2.2.). Conformément aux travaux majeurs sur les approches multiniveaux en sciences de gestion (Lecocq, 2002 ; Hitt, Beamish, Jackson et Mathieu, 2007), nous nous attachons non seulement à en spécifier les différents niveaux, mais également à en envisager les articulations possibles.

2.1. Les quatre niveaux d’analyse de la compétence

Depuis les années 1990, le concept de compétence suscite un intérêt croissant auprès des chercheurs et des praticiens, en raison notamment de son caractère transversal. Si les typologies en matière de compétences sont nombreuses, la déclinaison du concept autour de quatre niveaux distincts n’en demeure pas moins consensuelle dans la littérature spécialisée (Retour, 2005 ; Retour, Picq et Defélix, 2009 ; Loufrani-Fedida et Aldebert, 2013). Les chercheurs s’accordent ainsi à reconnaître l’existence de quatre axes d’analyse selon que les compétences sont observées au niveau individuel, collectif, organisationnel ou interorganisationnel.

De manière généralement admise aujourd’hui, la compétence individuelle (CI) se définit comme une combinaison de ressources qui rend une personne au travail capable de […] en situation professionnelle, « dans un contexte précis » (Defélix, Klarsfeld et Oiry, 2006, p. 2). De manière plus précise, au niveau de la nature de la CI d’une part, c’est encore le triptyque du « savoir, savoir-faire, savoir-être » qui représente, dans la pratique, l’une des définitions la plus répandue (Courpasson et Livian, 1991 ; Durand, 2000). Dès lors, il est possible de considérer que celle-ci se bâtit à partir de connaissances (le savoir) et d’expériences pratiques (le savoir-faire ou savoir-agir), tout en reposant sur une assise comportementale (le savoir-être ou faculté d’adaptation). D’autre part, au niveau des conséquences de la CI, les définitions proposées notamment par Gilbert et Parlier (1992) ou encore Le Boterf (1999), montrent que la CI est fortement contingente à une situation professionnelle donnée et correspond donc à un contexte. Un individu n’est pas compétent en lui-même, mais par rapport à quelque chose. En effet, des personnes qui possèdent des connaissances ou des capacités peuvent ne pas savoir les mobiliser de façon pertinente en situation de travail. Par conséquent, c’est la situation qui révèle les compétences réelles détenues par l’individu. C’est ainsi que la définition de la CI a été initialement pensée de manière très « contextualisée » (Loufrani-Fedida et Saint-Germes, 2013).

De leur côté, les compétences collectives (CC) résultent de la combinaison des CI dans un collectif de travail ou dans une équipe. Plus exactement, elles proviennent de la capacité de ce collectif à faire face à des situations qui ne pourraient pas être assumées par chacun de ses membres individuellement (Bataille, 2001). Toutefois, malgré la complexité qui entoure la notion de CC, nous retiendrons l’idée que la CC possède quatre attributs : un référentiel commun, un langage partagé, une mémoire collective et un engagement subjectif (Retour et Krohmer, 2006).

Le troisième niveau des compétences renvoie aux compétences dites organisationnelles (CO) et s’appréhende traditionnellement au niveau de l’organisation dans sa globalité (Barney, 1991 ; Grant, 1991 ; Prahalad et Hamel, 1990). De manière simplifiée, la CO correspond à ce que l’entreprise « sait faire » ou encore à son savoir-faire en action (Tywoniak, 1998). Parmi ces CO, certaines sont susceptibles de conférer à l’organisation un avantage concurrentiel[3], et peuvent dès lors être qualifiées de stratégiques.

Enfin, depuis le milieu des années 2000, il est possible d’identifier un quatrième niveau d’analyse de la compétence : celui des compétences dites interorganisationnelles (CIO). Pour Sanséau (2009), les CIO[4] résultent de la combinaison de ressources organisationnelles tirées de différentes organisations, permettant de faire émerger une activité ou une opération commune. En sciences de gestion, ce niveau de compétence se réfère alors à la capacité de l’organisation à identifier, capter, utiliser et optimiser les ressources qui gravitent dans son environnement, ainsi qu’à gérer les relations avec les acteurs de son environnement, ressources et processus, dont elle a besoin pour sa survie et son développement. Les compétences interorganisationnelles vont s’exprimer dans la possibilité pour les entreprises de créer différentes formes de proximité (organisationnelle, cognitive, sociale, etc.), rendant leur collaboration avec des acteurs externes plus efficace (Knoben et Oerlemans, 2006). Ce niveau d’analyse est étudié notamment dans le cadre des stratégies de coopération de l’entreprise ou dans les réseaux qu’elle a pu tisser.

Pour notre part, et en nous appuyant sur les travaux des auteurs suscités, nous comprenons la notion de « compétence » comme étant la capacité d’un individu, d’un collectif de travail ou d’une entreprise à mobiliser et à combiner des ressources (connaissances, savoir-faire et comportements), en vue de mettre en oeuvre une activité en situation donnée ou dans un processus d’action déterminé. Ainsi, c’est la situation qui révèle les compétences réelles détenues par un individu, une équipe ou une entreprise.

2.2. La compétence relationnelle : proposition d’une définition

Avant toute chose, soulignons que la multiplication des termes utilisés pour qualifier les compétences relationnelles, notamment en anglais[5], nuit à la clarté du concept. En français, les auteurs parlent également de « compétences réticulaires » ou de « compétences réseaux ». Ensuite, à partir de l’analyse des quelques écrits existants sur le concept de compétence relationnelle, il semble que cette dernière soit transversale aux différents niveaux d’analyse des compétences.

Selon Le Boterf (1999, p. 40), les compétences relationnelles d’un individu sont des « capacités qui permettent de coopérer efficacement avec autrui : capacité d’écoute, de négociation, de travail en équipe, de travail en réseau ». Compétence intimement liée à l’individu et permettant à ce dernier de coopérer dans un collectif de travail, elle est couramment considérée également comme une compétence comportementale, attitudinale ou encore sociale. Elle est ainsi très proche du « savoir-être », troisième dimension de la CI. La notion de compétence relationnelle, définie dans un contexte lié aux sciences de l’éducation (Camus, 2011), peut être étendue au domaine de la gestion en considérant qu’elle s’exprime au travers de trois critères : (1) l’attention aux autres (écoute, confiance, reconnaissance de l’autre) ; (2) la consistance dans la relation (capacité à exister face aux autres) ; (3) l’efficacité dans les interactions (sens de la communication).

Toutefois, en sciences de gestion, la majorité des travaux (Persais, 2004 ; Czakon, 2009 ; Pagano, 2009) portant sur la compétence relationnelle a trait aux niveaux organisationnel et interorganisationnel. Plus précisément, ces travaux tendent à montrer l’importance des compétences relationnelles dans l’acquisition d’un avantage concurrentiel lié aux coopérations interentreprises. Dès lors, ce processus d’apprentissage entre partenaires est à appréhender au travers de la capacité d’absorption des compétences d’autrui (Cohen et Levinthal, 1990). Les compétences relationnelles peuvent alors être envisagées sous l’angle du management de réseau, relevant de la volonté et des capacités à coopérer avec des acteurs externes.

Au niveau organisationnel, nous retenons la définition proposée par Persais (2004, p. 131), lequel parle de compétence relationnelle pour désigner « la capacité d’une entreprise à tisser et entretenir un lien positif et durable avec un acteur-clé de l’environnement ». Cette définition englobe non seulement la question des relations interfirmes, mais également celle des liens entre l’entreprise et les autres acteurs externes. Dès lors, l’auteur insiste sur l’importance de répertorier, au préalable, les différentes parties prenantes susceptibles d’influencer ou d’être influencées par le comportement de l’entreprise. Pour sa part, Pagano (2009) montre que les compétences relationnelles d’entreprises concernent les fonctions, les systèmes d’information, ainsi que les procédures de contrôle et de management mis en place en interne pour développer des connaissances sur les partenaires et les réseaux d’affaires, gérer les interactions et intégrer l’ensemble de ces relations autour de pratiques homogènes.

Au final, nous comprenons la notion de « compétence relationnelle » comme étant la capacité d’un individu ou d’une entreprise, à mobiliser et à combiner des ressources (connaissances, savoir-faire et comportements), en vue d’initier, de consolider et d’étendre un réseau social d’acteurs. Aussi, nous concluons que les compétences relationnelles d’un individu lui permettent de travailler avec d’autres individus, de tisser des liens et de combiner ses CI dans un collectif de travail ou dans une équipe (CC). Dans la même logique, les compétences relationnelles d’une entreprise/organisation (CO) lui permettent de travailler avec des entités ou des acteurs externes, de tisser des liens et de combiner ses CO dans un réseau (CIO). Dans le cadre spécifique des EIRP, nous sommes conscients que ces différents niveaux d’analyse sont susceptibles de se confondre, étant donné les différentes proximités caractérisant ces entreprises de petite taille.

3. Méthodologie

Notre recherche, de type exploratoire, repose sur une démarche qualitative, centrée sur une analyse de données issues d’une série d’entretiens avec des entrepreneurs-dirigeants d’EIRP et des experts de leur développement. Compte tenu du faible nombre de travaux existants sur la dynamique des compétences relationnelles dans le développement des EIRP, la démarche exploratoire nous permet d’apporter un éclairage sur le phénomène à l’étude, dans une logique de type « building theory research » au sens défini par Eisenhardt et Graebner (2007, p. 25) : « la building theory est une stratégie de recherche, dont l’objectif est de faire émerger des conjectures théoriques, des propositions et/ou théories intermédiaires à partir des données empiriques ». Dans le cadre de notre travail, une méthodologie qualitative nous est apparue particulièrement appropriée pour spécifier et comprendre la réalité de la dynamique des compétences relationnelles que les EIRP et leurs dirigeants mobilisent pour initier, consolider et étendre leurs réseaux sociaux. En effet, elle permet, dans une logique exploratoire et de découverte, des descriptions précises et riches de la réalité (Miles et Huberman, 2003), ainsi que la formulation d’explications fécondes et la prise en compte du contexte spécifique à la situation (Pettigrew, 1992). En outre, alors que dans le champ de l’entrepreneuriat international, les approches quantitatives dominent (Coviello et Jones, 2004 ; Coombs, Sadrieh et Annavarjula, 2009), dès lors que les auteurs s’intéressent aux EIRP et aux réseaux sociaux, la majorité d’entre eux optent pour des méthodes qualitatives, fondées sur des entretiens semi-directifs, des études documentaires et/ou des études de cas multiples (Coviello, 2006 ; Sullivan Mort et Weerawardena, 2006 ; Elidrissi et Hauch, 2012).

Le recueil de nos matériaux empiriques s’est déroulé sur quinze mois, entre mai 2013 et juillet 2014. Les entretiens individuels sont la source privilégiée d’informations de notre recherche. Nous avons réalisé dix entretiens semi-directifs d’une durée moyenne d’une heure et demie, avec cinq entrepreneurs-dirigeants d’EIRP, un directeur financier d’une de ces entreprises et quatre experts de l’entrepreneuriat international. Ces experts sont des personnes qui ont acquis des connaissances et compétences spécifiques dans la pratique répétée d’activités d’accompagnement.

Pour la sélection des EIRP, nous avons suivi un processus rigoureux d’échantillonnage au sein de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA). En effet, afin de choisir des EIRP à la fois innovantes et suffisamment développées à l’international, nous avons utilisé une liste d’entreprises exportatrices, fournie par la CCI Nice-Côte d’Azur, recensant 468 entreprises, dont l’effectif est compris entre 1 et 499 salariés et ayant déclaré avoir une activité régulière à l’export. Nous avons ensuite croisé cette liste avec celles des membres des pôles de compétitivité et d’incubateurs de la région PACA, de façon à sélectionner des entreprises actives en matière de recherche et développement. Cette démarche nous a permis d’identifier une quinzaine d’entreprises pouvant faire l’objet d’une étude au regard de nos critères d’échantillonnage[6]. Après une prise de contact par courriel et/ou par téléphone avec ces entreprises, nous avons mené six entretiens avec cinq entrepreneurs-dirigeants d’EIRP et un directeur financier d’une de ces entreprises (Tableau 2). Lors de ces entretiens, nous leur avons demandé de nous présenter leur activité dans l’entreprise, de nous raconter l’histoire de leur entreprise depuis son origine, son internationalisation rapide et précoce, la création, l’entretien et le développement de leur réseau de relations, ainsi que leurs compétences mobilisées.

Concernant la sélection des experts, nous avons mobilisé notre connaissance du tissu économique de la région PACA. Nous avons ainsi rencontré un conseiller en développement international de la CCI International PACA, le directeur de l’incubateur PACA-Est, une senior consultante en entrepreneuriat international et un gestionnaire de l’innovation à l’Institut européen en technologie (Tableau 3). Nous considérons que ces personnes sont des experts de l’entrepreneuriat international, dans la mesure où elles accompagnent les créateurs et dirigeants de PME, elles les conseillent, leur fournissent des informations sur les marchés étrangers et jouent parfois le rôle de médiateurs avec de potentiels partenaires. De plus, toutes ces personnes ont au moins cinq ans d’expérience dans ces activités. Lors des entretiens avec ces experts, nous leur avons demandé de présenter leur fonction et leur parcours, leur rôle dans le développement des PME innovantes à l’international, leur vision de l’entrepreneur innovant à l’international, ses compétences clés pour entreprendre, ainsi que des questions portant sur la création, l’entretien et le développement du réseau de relations dans le processus d’internationalisation.

Tableau 2

Présentation des dirigeants interrogés

Présentation des dirigeants interrogés

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Tableau 3

Présentation des experts interrogés

Présentation des experts interrogés

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Pour notre recherche, l’intérêt de nous entretenir à la fois avec des dirigeants et des experts est de dégager une vision globale et non partielle du phénomène étudié. En effet, les entrepreneurs-dirigeants nous informent sur leur vécu, leurs pratiques, mais n’ont pas une approche réflexive des compétences effectivement mises en oeuvre. Les experts, au contraire, ont une vision objectivée et plus précise des compétences mobilisées par ces acteurs qu’ils accompagnent et conseillent dans leur processus d’internationalisation ; ils savent distinguer leurs potentiels et leurs faiblesses et peuvent porter un regard critique sur l’origine des succès et échecs dans ce domaine. Au total, une quinzaine d’heures d’entretiens a été enregistrée et 45 pages ont été retranscrites.

Concernant l’analyse des données issues des entretiens, nous avons eu recours aux outils classiques recommandés par Miles et Huberman (2003). Tout d’abord, chaque entretien, après avoir été enregistré et retranscrit intégralement sur informatique, a été synthétisé dans une fiche. Ensuite, la stratégie analytique de nos données (Yin, 2008) est composée de deux principales techniques : le codage thématique (Miles et Huberman, 2003) et le codage ouvert (Strauss et Corbin, 1990). Le codage thématique a permis de définir trois familles de codes : (1) les quatre niveaux des compétences relationnelles activées (individuel – CI1, CI2, CI3, CI4, collectif – CC1, CC2, CC3, CC4, organisationnel – CO1, CO2, CO3, interorganisationnel – CIO1, CIO2) ; (2) les trois situations de gestion du réseau de relations à l’international (initiation – SI, consolidation – SC, extension – SE) ; (3) et enfin, les mécanismes de développement de ces compétences (MD1 à MD13). Quant au codage ouvert, il nous a notamment permis d’identifier la nature des compétences relationnelles, ainsi que les types de mécanismes de développement. En outre, dans notre démarche d’analyse des données, nous avons procédé en deux temps. Dans un premier temps, nous avons codé de manière ouverte nos entretiens à partir des quatre niveaux des compétences relationnelles. Ce premier niveau d’analyse offre un référentiel des compétences relationnelles mobilisées dans les EIRP selon leur niveau d’action (individuel, collectif, organisationnel et/ou interorganisationnel), ainsi qu’une identification de leurs différents mécanismes de développement (treize mécanismes identifiés). Dans un second temps, nous avons codé nos entretiens à partir des trois situations de gestion de la relation (initier, consolider et étendre le réseau de relations à l’international) pour montrer, grâce une nouvelle fois à du codage ouvert, quelles compétences et quels mécanismes de développement s’activaient dans chaque situation. En effet, dans la mesure où nous considérons la compétence relationnelle en contexte d’internationalisation comme une combinaison de ressources en situation, nous proposons de partir des situations telles que vécues par les acteurs, pour identifier les compétences mobilisées et les mécanismes de développement sous-jacents de ces compétences. Enfin, pour résumer, présenter et analyser la variété des données recueillies, nous avons utilisé des matrices et tableaux de synthèse, conformément aux recommandations de Miles et Huberman (2003). Dans la partie suivante de présentation des résultats, nous restituons notamment deux tableaux de synthèse (Tableaux 4 et 5).

4. La dynamique des compétences relationnelles dans le développement des EIRP

Notre étude empirique nous permet de mettre en évidence trois groupes de résultats : un référentiel des compétences relationnelles mobilisées dans le développement des EIRP ainsi que les principaux mécanismes sous-jacents à leur développement (4.1.) ; une conception dynamique des compétences relationnelles dans les EIRP autour des situations d’initiation, de consolidation et d’extension des relations (4.2.).

4.1. Identification des compétences relationnelles et de leurs mécanismes de développement

Conformément à notre revue de la littérature sur le concept de compétence, nous présentons les compétences relationnelles mobilisées lors de l’internationalisation des EIRP à partir des quatre niveaux d’analyse que sont l’individuel (4.1.1.), le collectif (4.1.2.), l’organisationnel (4.1.3.) et l’interorganisationnel (4.1.4.). Nous nous proposons d’expliciter chacune des compétences identifiées ainsi que de mettre en lumière les mécanismes par lesquels elles se développent.

4.1.1. Les compétences individuelles (CI) de l’entrepreneur-dirigeant

Les compétences individuelles (CI) que nous avons identifiées sont le plus souvent celles des entrepreneurs-dirigeants et/ou de l’équipe dirigeante qui sont les personnages centraux de la création d’une EIRP et de son internationalisation. Ces acteurs sont particulièrement efficaces dans : le repérage de partenaires potentiels ayant des caractéristiques compatibles avec celles de leur entreprise (CI1) ; l’acquisition de connaissances sur les marchés les plus intéressants et les opportunités qu’ils offrent (CI2) ; l’écoute et l’ouverture d’esprit face à l’altérité, lors des premiers contacts avec de potentiels partenaires (CI3) ; le développement d’un capital-sympathie grâce à la démonstration d’un réel intérêt pour le partenaire (CI4).

Tout d’abord, l’entrepreneur-dirigeant, en tant que décideur, doit pouvoir repérer les futurs partenaires étrangers ainsi que leurs caractéristiques (CI1). Dans ce cadre, les dirigeants rencontrés préfèrent des entreprises de taille modeste, qu’ils considèrent comme plus dynamiques et pour lesquelles les rapports avec les décideurs sont directs. Cela leur offre un avantage dans la négociation, car ils discutent d’égal à égal, sans intermédiaires, et le choix de collaborer est ensuite pris et mis en oeuvre rapidement : « les boîtes auxquelles on s’adresse sont souvent un peu plus petites et les circuits de décision sont plus rapides » (DG5). Afin de développer ces capacités à repérer des partenaires potentiels, les dirigeants vont faire appel à des institutionnels accompagnants tels que les incubateurs, les CCI, les représentants du commerce extérieur, Bpifrance (banque publique d’investissement) ou encore Ubifrance (MD1). Ces réseaux publics traditionnels ont deux fonctions majeures dans le processus de développement des EIRP : d’une part, les préparer à la conquête des pays, en leur fournissant des informations générales, des financements et en leur permettant d’échanger des expériences ; d’autre part, les mettre en relation avec des dirigeants étrangers, en s’appuyant sur leur rôle d’intermédiaires, charge à l’entreprise de conclure des partenariats. Les réseaux sociaux numériques tels que LinkedIn sont également utilisés (MD2) pour repérer des sociétés pouvant être intéressantes à l’étranger et établir les premiers contacts avec elles. En effet, il existe sur ces réseaux, différents groupes qui permettent aux entreprises d’un même secteur d’échanger, puis de nouer des liens qui peuvent déboucher sur des rencontres « hors ligne » et des partenariats.

L’entrepreneur-dirigeant doit être également en mesure de déployer des connaissances spécifiques vis-à-vis des marchés visés (CI2). Cette dimension cognitive des compétences relationnelles est particulièrement importante pour identifier les marchés les plus fluides ou les moins disputés ainsi que les opportunités et besoins auxquels l’entreprise pourra répondre facilement. Les dirigeants interrogés recherchent ainsi des pays difficiles d’accès d’un point de vue politique, géopolitique ou géographique, mais dans lesquels les produits ou solutions qu’ils proposent correspondent à un réel besoin. L’accès au marché leur est alors facilité, car ils sont souvent les premiers et les liens qu’ils nouent avec les acteurs locaux se révèlent durables : « on a défini des zones géographiques qui nous intéressent comme l’Inde […], les infrastructures se développent et il y a besoin d’un système de géolocalisation tel qu’on le vend nous. Le gouvernement indien pousse pour ces développements » (DG2). Pour développer ces compétences, les organismes d’aide et d’accompagnement cités précédemment (MD1) jouent également un rôle important en faisant connaître les différentes sources d’information qui pourront être utiles dans toute prospection future. De plus, afin d’approfondir leur compréhension du contexte du pays visé, les dirigeants nous ont expliqué qu’ils n’hésitaient pas à s’y déplacer, même si les conditions sont parfois difficiles (MD3). Ces voyages sont d’ailleurs l’occasion de premières rencontres.

Ensuite, les dirigeants, lors des premiers contacts avec des partenaires potentiels, doivent faire preuve d’une attitude d’ouverture et d’un savoir-être spécifique vis-à-vis de l’altérité (CI3). Pour ce faire, toutes les personnes interrogées soulignent l’importance de maintenir son esprit ouvert à la différence, de se garder de tout jugement et de se méfier des stéréotypes. S’intéresser aux autres devient un geste de générosité qui facilite la création de liens. Un des entrepreneurs-dirigeants interrogés s’attache même à étudier l’histoire et la géopolitique des pays visités pour enrichir la conversation de façon à « ne pas uniquement discuter prix et business » (DG4). « Il faut effectivement avoir la capacité de dialoguer avec les gens […]. Il faut juste parler la langue, connaître les gens, pas être trop… ne jamais arriver en pays conquis » (DG5). Cet état d’esprit a pour origine le parcours individuel et professionnel des entrepreneurs, par exemple leur expérience dans une entreprise internationale qui a pu les ouvrir aux questions de l’interculturalité (MD4). Ce mécanisme de développement est propre à chaque individu, son parcours, ses valeurs. En revanche, contre toute attente, les anciennes connaissances des dirigeants et leur appartenance à des associations professionnelles n’ont pas d’influence déterminante sur la densité de leurs réseaux d’affaires à l’international : les milieux associatifs français sont utiles pour trouver des financements ou des partenaires en R&D, mais semblent peu efficaces pour le développement de l’entreprise à l’étranger.

Les dirigeants ont, enfin, pleinement conscience qu’ils incarnent leur entreprise et doivent savoir se faire aimer (CI4). La dimension affective joue ici un rôle majeur, car une fois le premier contact établi, il est nécessaire de susciter la sympathie, devenir un interlocuteur avec lequel on a plaisir à interagir, être « un personnage attachant et adopter une logique d’enracinement » (DG4). Là encore, il apparaît que cette compétence est liée au parcours du dirigeant (MD4).

4.1.2. Les compétences collectives (CC)

Les compétences collectives (CC) sont les compétences des équipes commerciales et d’ingénieurs, qui prennent le relais du dirigeant et « font vivre au quotidien » la relation. Dans ce cadre, nous avons pu repérer quatre principales compétences : les compétences linguistiques et interculturelles, qui permettent aux interlocuteurs du partenaire d’être entendus et compris (CC1) ; la capacité à concevoir une relation durable et agir en conséquence, en donnant la priorité à la pérennité du lien (CC2) ; la capacité à créer un sentiment de proximité avec le partenaire, par des contacts fréquents et en privilégiant les situations de face à face dès que cela est possible (CC3) ; la capacité à générer de la confiance, par la proximité, mais également par le respect de règles de conduite les plus éthiques possible, de façon à préserver la relation et consolider sa réputation (CC4).

Les compétences linguistiques et interculturelles des équipes (CC1) apparaissent tout à fait indispensables pour le développement et le renforcement des relations avec les partenaires étrangers. Ces derniers doivent pouvoir trouver des interlocuteurs comprenant leurs problématiques spécifiques et sachant s’y adapter. Les dirigeants doivent dès lors s’entourer de personnes compétentes pour soutenir l’effort d’internationalisation et cela suppose qu’ils sachent évaluer leurs limites et acceptent de déléguer ce qu’ils ne savent pas faire. Ceux que nous avons rencontrés s’attachent ainsi à construire des équipes multiculturelles et multilingues. Ces compétences collectives se développent donc via le recrutement de collaborateurs polyglottes et/ou étrangers et ayant l’habitude de travailler dans un contexte international (MD5). Les EIRP étudiées n’hésitent donc pas à recruter des salariés étrangers qui sont régulièrement consultés pour faciliter l’adaptation des pratiques de l’entreprise. Ils constituent également des interlocuteurs pertinents pour les partenaires auxquels on va s’adresser dans la langue maternelle et, dont on sera ainsi en mesure de saisir les subtilités des besoins. Quand les EIRP en ont les moyens et quand les enjeux sont importants, ces salariés sont installés dans le pays visé afin de profiter de leur connaissance des réseaux et de la façon de mener des affaires : « pour l’Inde, on a recruté une personne de nationalité indienne qui fera du business là-bas » (DG2).

Au-delà de la compréhension de l’interlocuteur, c’est la capacité à maintenir une relation durable avec lui (CC2) qui sera au centre des compétences relationnelles collectives. Les dirigeants interrogés tiennent en effet à pérenniser les liens établis avec leurs clients ou distributeurs à l’étranger, de façon à assurer leurs débouchés, mais également pour profiter de leurs retours et idées en vue d’améliorer les produits ou services proposés : « on draine des contacts et on a derrière la capacité à les suivre » (DG5). La compétence liée à la stabilité de la relation avec le partenaire est rendue possible par la pérennité des équipes de l’entreprise (MD6), qui doivent assurer la continuité du lien. Les dirigeants interrogés attachent une grande importance à la fidélisation des collaborateurs et notamment ceux qui sont directement impliqués avec les partenaires étrangers : ils postulent que la stabilité des équipes facilite la construction de la confiance et un bon suivi du partenaire.

Le sentiment de proximité avec le partenaire est développé grâce aux relations étroites que les équipes sont capables d’entretenir avec les partenaires étrangers (CC3). Afin que ceux-ci puissent apprécier leur qualité et leur sérieux, il est indispensable, pour les dirigeants interrogés, de les convier régulièrement à visiter leur entreprise et de susciter des rencontres entre cadres ou ingénieurs des deux entités. Dans le premier cas, la présentation des locaux, des chaînes de production ou des nouveaux produits permet aux partenaires étrangers de constater le dynamisme de l’organisation et la modernité des infrastructures. Dans le second cas, ce sont essentiellement des relations entre les ingénieurs qui vont s’établir, notamment lorsque ces derniers sont amenés à travailler ensemble sur des solutions techniques : « l’idée, c’est de faire se rencontrer les gens qui vont travailler ensemble […]. Je préfère qu’il y ait un lien physique important, on fait cela une fois par an » (DG2). La capacité à inspirer ce sentiment de proximité se développe donc grâce aux rencontres physiques (MD7). Les dirigeants insistent d’ailleurs pour organiser des réunions, au moins annuelles, afin de consolider les liens et aller au-delà d’une relation d’affaires : pour eux, les acteurs qui collaborent régulièrement sur des projets communs ont besoin de se voir, de se parler, pour demeurer proches.

Outre la proximité, tous nos interlocuteurs insistent sur l’obligation de s’imposer des règles de conduite éthiques, gagnant/gagnant, afin de préserver leurs partenariats et leur réputation (CC4). La relation et les débouchés qu’elle implique étant envisagés sur le long terme, les effets de réputation sont très importants et un esprit de collaboration doit être construit. Ainsi, la loyauté envers les distributeurs et revendeurs étrangers est une norme, tout comme la transparence et l’implication dans les situations critiques et techniquement délicates : « le fait que vous soyez compétent et honnête, ça vous aide beaucoup dans vos relations par la suite. Parce que ça, c’est des critères qu’on n’oublie pas facilement » (DG3). Afin de développer cette compétence collective, les dirigeants interrogés insistent sur l’importance de partager leur vision des affaires avec leurs équipes (MD8). La question des valeurs du dirigeant est primordiale ici, car nous sommes dans des organisations entrepreneuriales, centrées sur la vision de leurs créateurs. Lors de nos entretiens, nous avons pu constater que tous souhaitent construire une entreprise conforme à leurs idéaux, en s’entourant de personnes de confiance avec lesquelles ils pourront partager leurs idées et leur éthique des affaires.

4.1.3. Les compétences organisationnelles (CO)

Les compétences organisationnelles (CO) correspondent principalement aux dispositifs spécifiques mis en place par l’EIRP pour gérer les relations avec les partenaires étrangers. Nous avons pu identifier ici les compétences liées à : la maîtrise du support technique et du service après-vente (SAV), dont la réactivité et la qualité des services proposés confortent le partenaire dans son choix (CO1) ; l’écoute et l’adaptation aux besoins des partenaires, c’est-à-dire la capacité à revoir pour lui les processus ou les produits rapidement (CO2) ; la nécessaire finesse de la gestion des ressources consacrées aux relations avec les partenaires (CO3). En effet, ces ressources dans les petites entreprises sont rares, et il faut gérer le rythme de développement à l’étranger afin de ne pas les disperser.

Nous avons pu observer ici que la relation avec des partenaires étrangers se construit autour des technologies implémentées ou des affaires menées ensemble. Dans ce cadre, la qualité du support technique et du SAV (CO1) permettra de contrebalancer le risque initial pris par ces partenaires. Les entrepreneurs interrogés soulignent ainsi l’importance de passer de la confiance entre individus à la confiance en l’entreprise en tant que telle. Tous les salariés de l’entreprise doivent être des interlocuteurs crédibles, disponibles et réactifs : « il faut qu’ils [les partenaires étrangers] sentent que chacun est impliqué dans la société […]. Quand il y a un problème, ils doivent savoir qu’il va être résolu » (DG3). Ces compétences organisationnelles sont développées au fil des contrats, en capitalisant sur les expériences techniques (MD9). En se mettant à l’écoute des partenaires et en améliorant pour eux leurs produits et prestations, les entreprises deviennent de plus en plus réactives d’un point de vue technique. Elles sont alors à même de régler les problèmes spécifiques à chaque marché.

C’est pourquoi les dirigeants interrogés sont attentifs aux besoins de leurs partenaires et font en sorte que leur entreprise s’y conforme (CO2). Ils s’attachent à ce qu’elle soit irréprochable en matière d’adéquation de la logistique, des produits et des services, aux attentes spécifiques de chaque partenaire, exigences rendues d’ailleurs difficiles par la distance : « il fallait adapter le produit pour le marché brésilien […]. J’ai eu ce partenaire là-bas qui me disait “si tu veux l’affaire, il faut faire ça”, et puis on a dit banco on le fait » (DG5). La démarche peut être progressive, le partenaire étant susceptible de « mettre à l’épreuve » l’entreprise sur quelques produits dans un premier temps, pour étendre ses commandes par la suite s’il a obtenu satisfaction. Ces compétences sont également développées grâce à la multiplication des expériences à l’international (MD9), ainsi que par le recrutement de collaborateurs étrangers (MD5). Cette nécessité de comprendre les besoins spécifiques des marchés et de s’y conformer est également à l’origine d’innovations : en réglant les problèmes des clients, les EIRP créent de nouveaux produits et solutions.

Cependant, le développement des réseaux de partenaires à l’international nécessite de la part des EIRP une réelle capacité à déployer des ressources dédiées, dans un contexte où, justement, les ressources de l’entreprise se présentent en quantité tout à fait limitée (CO3). Cette contrainte impose un rythme de développement à l’étranger bien plus mesuré que ce que les personnes interrogées ne souhaiteraient. Les aspects financiers, temporels et humains sont interdépendants, puisque le nombre d’acteurs qui se consacrent à l’internationalisation est toujours trop faible en comparaison des ambitions de ces entreprises. Afin de progresser en optimisant les ressources, les entreprises mettent en place des méthodologies et des stratégies d’approche de nouveaux marchés autour de la définition de zones à cibler, des moyens à mettre en oeuvre et des méthodes d’approche qui leur seront spécifiques. En revanche, le déploiement de ces ressources pour la seule prospection est généralement limité dans le temps, car les budgets sont serrés. Lorsque le pays visé est considéré comme prioritaire, les entreprises n’hésitent toutefois pas à y engager directement des ressources en installant un bureau commercial et un salarié à demeure. Les dirigeants interrogés laissent ainsi leurs commerciaux prospecter à l’étranger et n’interviennent que « lorsque les négociations montent d’un cran », pour « rassurer, présenter la société, organiser les ressources » (DG2). Les entreprises définissent également, selon les pays, des modèles différents de relation avec les partenaires, qui peuvent être de simples revendeurs rémunérés sur les ventes ou un intégrateur exclusif chez lequel est envoyé un commercial. « Le business à l’international, c’est à la fois très rapide et très, très lent. C’est très rapide d’avoir des idées, mais après pour s’établir dans un pays, pour faire du chiffre d’affaires sur place, cela reste lent » (E4). Ces compétences organisationnelles se développent donc dans le cadre d’une réflexion sur la possibilité de répliquer les méthodologies et les mécanismes utilisés pour conquérir de nouveaux marchés (MD10). Les dirigeants prennent conscience des schémas de prospection et des modalités de relation que leur entreprise a mis en place et tentent de définir les circonstances dans lesquelles ces schémas et modalités peuvent être répliqués et dans lesquelles des adaptations restent nécessaires. Donner plus de méthode à la démarche d’internationalisation leur permet d’organiser leurs ressources et de les gérer plus finement.

4.1.4. Les compétences interorganisationnelles (CIO)

Enfin, les compétences interorganisationnelles sont liées au fait de savoir se rendre visible dans la communauté d’affaires (CIO1) et savoir construire une bonne réputation et une bonne image afin de s’appuyer sur elles pour trouver de nouveaux partenaires (CIO2).

La prise de contact et le développement des partenariats à l’international exigent des EIRP qu’elles se rendent visibles sur les marchés étrangers afin d’intéresser un éventuel partenaire (CIO1). Cette visibilité passe par une communication Web, et notamment un bon référencement sur les moteurs de recherche, ainsi que par la presse lorsque cela est possible. Dans ce cadre, les prix et distinctions distribués par les associations professionnelles et médias spécialisés constituent de bons supports pour faire parler des entreprises, par le biais des retombées « presse ». La présence sur les salons professionnels internationaux fait également l’objet d’une grande attention, car ils offrent de sérieuses opportunités de nouvelles rencontres. C’est pourquoi les dirigeants s’y déplacent plusieurs fois par an et les entreprises les préparent méticuleusement : elles repèrent les acteurs clés qui seront présents et organisent des rendez-vous avant et après le salon afin d’utiliser au mieux le temps passé sur place. Nous avons pu constater ici que cette compétence se construisait de façon proactive, en capitalisant les expériences de référencement Web et des salons (MD11). De plus, certains dirigeants précisent qu’il leur arrive de solliciter des partenaires étrangers pour trouver de nouveaux contacts (MD12), bien que la plupart n’expriment pas consciemment cette pratique en termes de réseaux à construire et gérer.

La réputation et l’image de l’entreprise jouent ici également un rôle clé, car dans les marchés de niche sur lesquels opèrent les EIRP, les informations circulent rapidement. Dans ce cadre, l’entreprise pourra s’appuyer sur la satisfaction de ses partenaires actuels pour en trouver de nouveaux (CIO2). Les contacts établis précédemment ont donné lieu à des relations et des solutions techniques satisfaisantes (MD9) et le bouche-à-oreille fonctionne bien dans ces secteurs qui comptent au final un nombre restreint d’acteurs. De plus, cette compétence interorganisationnelle a aussi pour origine le passage d’une relation interindividuelle à une relation interorganisationnelle (MD13), mécanisme fondamental pour que les équipes puissent exprimer leurs compétences, bénéficiant ainsi à la réputation et l’image de l’entreprise. C’est à ce moment, en effet, que les efforts fournis pour satisfaire les partenaires et maintenir des liens serrés avec eux pourront avoir des répercussions sur les relations futures. Cela est rendu possible par le fait que le dirigeant tende le relais à son équipe et explique aux interlocuteurs que : « moi ou quelqu’un d’autre, c’est pareil, que les collaborateurs sont aussi importants et connaissent très bien l’entreprise ; qu’ils [les partenaires] ne doivent pas s’attacher à un personnage » (DG4).

Le tableau 4 récapitule les compétences relationnelles à l’oeuvre lors du processus de développement des EIRP, ainsi que leurs mécanismes de développement.

Tableau 4

Les compétences relationnelles mobilisées dans les EIRP et leurs mécanismes de développement

Les compétences relationnelles mobilisées dans les EIRP et leurs mécanismes de développement

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4.2. Une conception dynamique des compétences relationnelles dans les EIRP grâce à l’approche multiniveaux

Dans la mesure où nous considérons la compétence relationnelle dans le cadre de l’internationalisation des EIRP comme une combinaison de ressources en situation, nous proposons justement de partir des situations telles que vécues par les acteurs. Par suite, nous précisons celles dans lesquelles les compétences s’activent et celles dans lesquelles elles se développent et, par là même, les contextes dans lesquels les mécanismes de développement sont activés. Les efforts déployés par les dirigeants et leurs équipes en matière de gestion des relations peuvent en effet être envisagés autour de trois situations : initier la relation (4.2.1.), la consolider (4.2.2.) et étendre leur réseau à de nouveaux acteurs à l’étranger (4.2.3.). Ce deuxième groupe de résultats est donc issu, quant à lui, d’un codage des données à partir de ces trois situations de mise en oeuvre de la compétence relationnelle (initier, consolider et étendre), laquelle nous permet de mettre en lumière une conception dynamique du phénomène à l’étude (4.2.4.).

4.2.1. Initier la relation : les premiers contacts entre l’entrepreneur et son partenaire potentiel

En situation d’initiation, l’accent est mis, d’une part, sur le repérage de partenaires potentiels, la prise de contact et l’existence d’éventuelles affinités, qu’elles soient professionnelles ou plus personnelles. La visibilité et la réputation de l’entreprise (CIO1 et CIO2) sont des éléments facilitateurs, mais les compétences essentielles ici sont surtout individuelles et liées à l’entrepreneur-dirigeant. Ce dernier joue, en effet, un rôle décisif dans l’internationalisation de l’entreprise, surtout s’il a déjà eu une expérience de l’international. Les experts de l’entrepreneuriat international le soulignent : « quand ils [les entrepreneurs-dirigeants] ont eu des parcours dans des boîtes internationales, leur terrain de jeu, c’est le monde » (E2). Cet état d’esprit d’ouverture qui suscite la sympathie (CI3 et CI4) a donc pour origine le parcours individuel et professionnel des entrepreneurs : ces compétences prennent naissance avant la création de l’entreprise, dans des situations variées liées à l’ancien contexte de travail de l’entrepreneur. En revanche, lors de l’initiation de la relation, les compétences dans la compréhension du contexte local (CI2) et les capacités à identifier des partenaires potentiels sont fondamentales (CI1). Lorsque le premier contact est établi, la relation ne sera véritablement initiée que lorsque les acteurs étrangers entreront en relation d’affaires avec l’EIRP. Pour les y inciter, l’entreprise devra savoir se mettre à l’écoute du partenaire et être capable de satisfaire ses besoins particuliers (CO1 et CO2).

Pour ce qui est des mécanismes de développement, dans la situation d’initiation des relations, les dirigeants des EIRP étudiées acquièrent des compétences supplémentaires en prospectant sur Internet (MD2), faisant appel à des organismes d’aide et d’accompagnement (MD1) ou en se rendant sur place (MD3). Les connaissances ainsi accumulées vont venir enrichir l’expérience internationale des décideurs (MD4). De plus, la nécessité de bien comprendre les attentes du partenaire et d’y adapter ses produits et services afin de concrétiser les premiers contacts va amorcer le processus de développement d’expertises techniques à l’international (MD9).

4.2.2. Consolider la relation : l’entretien des liens nécessaire au passage de l’individuel à l’organisationnel

Une fois la relation initiée, la dimension technique et la culture des affaires prennent alors le dessus, ce qui demande moins d’efforts de séduction, car celles-ci sont davantage fédératrices et universelles. Dans cette situation, les compétences organisationnelles liées aux réponses techniques (CO1, CO2), mais surtout les compétences collectives se révèlent essentielles : elles vont permettre au partenaire de se sentir proche de l’entreprise (CC3, CC2), en confiance (CC4) et compris (CC1). C’est dans les situations de consolidation de la relation que la confiance va se développer autour de l’expertise et la performance des solutions techniques apportées par l’EIRP, ainsi que la qualité des liens interindividuels qu’elle aura su tisser.

Parallèlement, quand il s’agit de consolider la relation, l’entreprise va acquérir et développer des compétences relationnelles particulières grâce à ses efforts en matière d’organisation de rencontres (MD7) et de fidélisation des équipes (MD6). La volonté de renforcer les liens avec le partenaire nécessite aussi très souvent le recrutement de salariés de même culture et de même langue (MD5). C’est également dans cette situation que l’entreprise développera pleinement ses capacités techniques, en répondant aux attentes spécifiques des partenaires et en innovant pour eux si besoin est (MD9). Enfin, la consolidation des relations va donner lieu au passage de liens interindividuels, de dirigeant à dirigeant à des liens plus centrés sur les affaires, d’entreprise à entreprise (MD13). Dans ce cadre, outre les aspects techniques et organisationnels, le dirigeant s’efforcera de faire partager son éthique et sa vision des affaires à ses collaborateurs, de façon à ce que la relation se développe sur les mêmes bases qu’elle a été initiée (MD8).

4.2.3. Étendre le réseau : vers l’intégration de la dimension internationale dans la stratégie et l’organisation

Nous avons constaté que les entreprises ayant commencé à développer leurs activités à l’étranger sont désireuses de répliquer leurs succès sur de nouveaux marchés et étendre ainsi leurs réseaux en initiant de nouvelles relations. Un de nos experts a d’ailleurs souligné qu’« il existe un cercle vertueux de l’internationalisation : plus une entreprise est internationalisée, plus elle s’implante à l’étranger » (E1).

Cette situation demande tout d’abord la mobilisation de compétences organisationnelles en matière d’organisation des ressources dédiées aux relations (CO3). En effet, celles-ci étant en quantité limitée, il convient de les gérer de plus en plus finement et au fur et à mesure que les partenaires se multiplient. Ensuite, la question de la visibilité de l’EIRP (CIO1) est également très importante en situation d’extension du réseau relationnel, puisqu’elle permettra d’attirer spontanément d’éventuels partenaires étrangers. Enfin, en situation d’extension de réseau, l’entreprise doit pouvoir valoriser sa réputation afin d’accélérer les contacts et l’initiation des relations (CIO2).

En ce qui concerne les mécanismes de développement des compétences relationnelles, les opérations liées à l’extension du réseau à de nouveaux partenaires vont impliquer une réflexion sur les méthodes déjà utilisées par l’entreprise pour initier de telles relations (MD10). Dans un souci d’optimiser les ressources matérielles et le temps, certaines de ces pratiques seront dupliquées pour prospecter sur de nouveaux marchés, alors que d’autres seront reconsidérées et adaptées en fonction des circonstances. Dans le même esprit, les expériences liées à la visibilité de l’entreprise, à travers le référencement Web et la participation aux salons sont, dans cette situation, capitalisées afin d’obtenir des résultats plus fiables (MD11). En revanche, ce qui reste problématique lorsqu’on considère les mécanismes de développement s’activant dans cette situation, c’est l’absence de prise de conscience systématique de l’intérêt des réseaux (MD12). Si certains dirigeants interrogés n’hésitent pas à solliciter, s’ils en ont, leurs connaissances à l’étranger, d’autres sont encore très réticents à mobiliser leurs réseaux personnels et professionnels, ou tout au moins à formaliser cet usage. L’un des experts interrogés (E3) souligne ainsi qu’en France, « on n’a pas cette facilité culturelle à utiliser nos réseaux […] par peur de l’erreur, peur d’être jugés. Cela ne nous aide pas à être ouvert à l’autre ». En termes de visibilité, les EIRP étudiées mettent donc davantage l’accent sur l’apprentissage de la mobilisation de canaux formels (Internet, salons), qu’informels (relations personnelles).

Le tableau 5 présente de façon synthétique les différentes situations dans lesquelles les compétences relationnelles et les mécanismes de développement précédemment identifiés sont activés.

Tableau 5

Activation des compétences relationnelles et de leurs mécanismes de développement en fonction de la situation de gestion de la relation

Activation des compétences relationnelles et de leurs mécanismes de développement en fonction de la situation de gestion de la relation

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4.2.4. Mise en lumière d’une conception dynamique multiniveaux

Suite à nos précédentes analyses (résumées dans les tableaux 4 et 5), nous avons pu constater que les compétences relationnelles ne s’activent et ne se développent pas toujours dans les mêmes situations de gestion de la relation. Par exemple, la construction de la réputation (CIO2) est activée en situation d’initiation et d’extension, mais prend sa source dans la qualité de la consolidation des relations, autour des compétences collectives et organisationnelles mises en oeuvre, qui vont elles-mêmes permettre l’activation du mécanisme de capitalisation des expériences techniques (MD9) et du mécanisme de passage de la relation interindividuelle à la relation interorganisationnelle (MD13).

C’est ainsi que nous avons souhaité proposer une compréhension dynamique du processus de construction du réseau social d’acteurs dans le développement des EIRP (Figure 1). En effet, en situation d’initiation des relations, les compétences relationnelles sont essentiellement de nature individuelle (CI1, CI2, CI3, CI4) tout en étant soutenues par des compétences organisationnelles (CO1, CO2) et interorganisationnelles (CIO1, CIO2). De la combinaison des compétences individuelles et organisationnelles, émergent, au fil de la consolidation de la relation, des compétences relationnelles qui se révèlent davantage collectives (CC1, CC2, CC3, CC4), pour ouvrir sur des compétences organisationnelles (CO3) et interorganisationnelles (CIO1, CIO2), lorsqu’il est question d’étendre le réseau à de nouveaux partenaires étrangers. L’analyse de nos données nous amène également à considérer que cette dynamique n’est pas linéaire, mais circulaire, c’est-à-dire que, lorsque les dirigeants choisissent d’étendre leurs réseaux à de nouveaux partenaires étrangers, cela implique des situations d’initiation de nouvelles relations, puis de leur consolidation, et ainsi de suite. Dans cette dynamique, les compétences relationnelles déjà développées sont activées et enrichies à chaque nouveau cycle de création de relations, constituant ainsi une « spirale de l’internationalisation[7] ».

Figure 1

Une conception dynamique des compétences relationnelles dans le développement des EIRP

Une conception dynamique des compétences relationnelles dans le développement des EIRP

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5. Discussion et conclusion

Nos progrès dans la compréhension de la dynamique des compétences relationnelles mobilisées dans le développement des EIRP nécessitent maintenant d’être discutés, tant sur leurs apports théoriques (5.1.) et managériaux (5.2.) que sur leurs limites et les perspectives de recherche qu’ils ouvrent (5.3.).

5.1. Contributions théoriques

Nos travaux permettent de mieux comprendre la dynamique des compétences relationnelles dans le développement des EIRP, et ce, en nous intéressant à la fois à l’identification, l’émergence et la combinaison des quatre niveaux de compétences (individuel, collectif, organisationnel et interorganisationnel). Dans un premier temps, nous avons proposé un référentiel des compétences relationnelles mobilisées par les EIRP à chaque niveau d’analyse, ainsi que les mécanismes de développement sous-jacents. Dans un second temps, nous avons souhaité aller plus loin qu’une « simple » analyse statique, en offrant une conception dynamique des compétences relationnelles dans les EIRP autour des trois situations de gestion de la relation.

À ce stade de notre étude, nous avons apporté des éléments de réponse aux trois manquements théoriques présentés dès l’introduction de cet article. Premièrement, nos résultats viennent enrichir la littérature s’interrogeant sur l’importance des réseaux sociaux dans le développement des EIRP (Coviello, 2006 ; Sullivan Mort et Weerawardena, 2006 ; Elidrissi et Hauch, 2012 ; Sepulveda et Gabrielsson, 2013). En effet, notre recherche explicite comment mobiliser et développer ces réseaux de relation à l’international, notamment en précisant quelles sont les compétences relationnelles mobilisées et leurs mécanismes de développement sous-jacents.

Deuxièmement, nous considérons que l’apport majeur de notre travail repose sur l’approche multiniveaux des compétences relationnelles dans le cadre spécifique des EIRP. Conformément aux recommandations de Lecocq (2002) ainsi que Hitt et al. (2007), nous nous sommes attachées, dans notre démarche, non seulement à identifier les différents niveaux d’analyse de la compétence relationnelle, mais également à étudier leur articulation. Plus précisément, grâce à l’analyse de nos données, nous montrons qu’il existe différents types et niveaux de compétences relationnelles qui dépassent la seule intervention de l’entrepreneur-dirigeant. Nous avons également pu établir que l’initiation des relations passait par les compétences cognitives et affectives des entrepreneurs-dirigeants, plus précisément leurs capacités à identifier les acteurs clés de leur internationalisation et à nouer des liens privilégiés avec eux. La consolidation des réseaux repose, ensuite, sur le passage des relations individuelles (de dirigeant à dirigeant) à des relations entre des collectifs de travail, voire des organisations, tout en maintenant un niveau élevé de confiance. Il s’agit ici de créer, dans un contexte d’éloignement géographique, d’autres formes de proximité, comme la proximité cognitive ou sociale qui permettent d’élaborer une perception commune du métier et du marché (Knoben et Oerlemans, 2006). L’extension des réseaux, enfin, est liée à la capacité de l’organisation à se rendre visible et attirer de nouveaux partenaires étrangers dans un contexte de ressources rares.

Troisièmement, c’est précisément notre approche multiniveaux, combinée à une appréciation des compétences relationnelles mobilisées dans les trois situations de gestion de la relation (initier, consolider et étendre), qui nous a permis de proposer cette conception dynamique des compétences relationnelles dans les EIRP. Au final, nous considérons que, dans les EIRP, les compétences relationnelles ne sont pas données, mais se construisent progressivement grâce aux stratégies des acteurs et à la prise en considération des quatre niveaux d’analyse de la compétence. Cette construction a été rendue intelligible par notre analyse des mécanismes sous-jacents de développement des compétences relationnelles. Aussi, dans la littérature, nous pouvons souvent lire que c’est le réseau de l’entrepreneur qui fait la réussite de l’entreprise (Chabaud et Ngijol, 2010 ; Leyden et Link, 2015). Nous démontrons que la réalité est plus complexe que cela, car justement, les compétences relationnelles sont construites à des niveaux multiples.

5.2. Implications managériales

D’un point de vue managérial, notre souhait premier est que, grâce à notre travail, les entrepreneurs-dirigeants d’EIRP aient davantage conscience de l’importance de leur réseau social et du rôle joué par les compétences relationnelles dans le développement de leur entreprise, et ce, à tous les niveaux (individuel, collectif, organisationnel et interorganisationnel). En effet, nous avons constaté que les entrepreneurs ne prennent pas suffisamment conscience du rôle joué par ces compétences pour les aider à aller de l’avant dans leur démarche d’extension à l’internationalisation, alors que l’usage et le déploiement de compétences relationnelles semblent indispensables pour saisir les opportunités d’affaires internationales (Sullivan Mort et Weerawardena, 2006 ; Laghzaoui, 2009).

Ensuite, pour permettre aux entrepreneurs-dirigeants d’EIRP de comprendre les rouages de la dynamique des compétences relationnelles dans le cadre du processus de développement de leur PME, notre recherche leur offre une description concrète et rigoureuse des compétences relationnelles mobilisées pour chaque situation de gestion de la relation (initier, consolider et étendre un réseau social d’acteurs). Dans notre article, nous proposons un référentiel de ces compétences et de leurs mécanismes de développement (Tableau 4), lequel présente selon nous un triple intérêt : (1) tout d’abord, pour les structures d’accompagnement à l’international elles-mêmes et leurs pratiques de formation à destination des entrepreneurs ; (2) ensuite, pour les entrepreneurs-dirigeants d’EIRP, qui peuvent ainsi prendre connaissance des diverses compétences relationnelles nécessaires pour entreprendre leur projet d’internationalisation, et par là même sélectionner les compétences recherchées et attendues d’un partenaire étranger et faciliter la constitution de leurs équipes ; (3) enfin, dans une logique de prise de conscience des compétences individuelles, ce référentiel pourrait permettre à certains entrepreneurs-dirigeants de formaliser des compétences qu’ils détiennent, mais qu’ils ne mettent pas en oeuvre, et qu’il leur est possible de mobiliser dans une stratégie d’internationalisation.

Enfin, notre travail offre aux entrepreneurs-dirigeants, au-delà d’un référentiel de compétences relationnelles requises lors du développement des EIRP, les mécanismes sous-jacents de développement de ces compétences. Ces mécanismes représentent des leviers d’action pouvant être déployés par les dirigeants et leurs équipes pour initier les relations, les consolider et étendre leur réseau à de nouveaux acteurs à l’étranger.

5.3. Limites et perspectives de recherches futures

Au-delà des contributions théoriques et managériales de notre travail, deux limites méthodologiques sont à signaler. La première limite a trait à la taille de notre échantillon qui demeure réduite et ne nous permet pas, à ce stade de notre recherche, d’atteindre une saturation théorique. Toutefois, nous rappelons que la volonté initiale de notre travail est d’apporter un éclairage sur un phénomène peu étudié jusqu’alors, à savoir la dynamique des compétences relationnelles dans le développement des EIRP, dans une logique de type « building theory research » au sens défini par Eisenhardt et Graebner (2007, p. 25). La seconde limite de notre étude tient au fait que nous fondons notre analyse sur du déclaratif de compétences et non sur de l’observation en situation réelle durant le développement de l’EIRP.

Finalement, l’évocation de ces limites suggère de poursuivre plus en avant les recherches pour prolonger et enrichir nos résultats. Aujourd’hui, deux perspectives de recherches futures s’offrent à nous. Tout d’abord, nous envisageons de poursuivre notre recherche empirique à travers l’étude approfondie d’un ou plusieurs cas d’EIRP repérés grâce à nos entretiens exploratoires. Pour chacune de ces entreprises, nous projetons de mener d’autres entretiens avec des acteurs variés ainsi que de travailler sur des sources documentaires. Cette démarche nous permettrait de compléter nos données et d’améliorer la portée et la validité des résultats, notamment au niveau de la compréhension du comment sont mobilisées, lors du processus d’internationalisation, les compétences relationnelles identifiées. Ensuite, à partir d’une méthodologie mixte, nous avons pour ambition de mieux caractériser les EIRP en France, ainsi que de mieux comprendre les compétences spécifiques des entrepreneurs qui les créent. Notamment, nous nous interrogeons sur l’« environnement capacitant » et les mécanismes activateurs spécifiques des compétences relationnelles en oeuvre dans les EIRP françaises. L’étroitesse du marché national apparaît comme un facteur explicatif pour les entreprises danoises (Madsen et Servais, 1997). La présence d’une diaspora servant de relais joue le même rôle activateur pour les entreprises chinoises (Zhou et al., 2007). En comparant le Danemark, la Chine et la France, nous chercherons à identifier les facteurs qui, en France, jouent ce rôle.

En définitive, nous espérons que notre travail contribue à une meilleure compréhension de la dynamique des compétences relationnelles mobilisées dans le cadre du développement des EIRP. Plus généralement, cette recherche, de type exploratoire, se veut être un premier pas dans la compréhension du management des compétences relationnelles dans les EIRP.