Recensions

Françoise Waquet, Une histoire émotionnelle du savoir. XVIIe–XXIe siècle, Paris, CNRS Éditions, 2019, 349 p.[Notice]

  • Alexandre Klein

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  • Alexandre Klein
    Chercheur postdoctoral, Département des sciences historiques, Université Laval, Canada

Désir, joie, angoisse, déception, excitation, fierté, découragement… La recherche scientifique est jalonnée par des émotions multiples. Pourtant, longtemps, elles ont été oubliées, voire volontairement masquées, au profit d’une image idéalisée de la science où objectivité rimait avec neutralité, et où toute manifestation subjective se devait d’être exclue. Si la sociologie et l’histoire des sciences ont, depuis longtemps, démontré la nature idéologique et trompeuse de ce type de représentation, rares sont les histo- rien.ne.s à s’être jusqu’alors intéressé.e.s aux émotions dans le travail scientifique, et ce malgré l’important développement, au cours des dernières années, de l’histoire des émotions comme champ historiographique à part entière. C’est pour pallier ce manque que l’historienne Françoise Waquet a décidé de se pencher sur ce que les scientifiques, les chercheur.e.s « ressentent dans l’exercice quotidien de leur activité » (p. 11). Il s’agit pour elle tant de proposer une histoire « concrète et charnelle » du savoir que de rétablir, par là même, l’« identité émotionnée » (p. 11) de ceux et celles qui le produisent. Pour ce faire, elle a divisé son étude en trois grandes parties. Dans la première, intitulée « écologie émotionnelle », elle s’intéresse aux dimensions affectives et émotionnelles des êtres, lieux et objets qui font la science à l’époque contemporaine. Pour ce qui est des êtres, il est question de l’angoisse de la soutenance de thèse de doctorat ou d’une HDR, de la déception d’une candidature ratée, ou des émotions instillées dans les discours pour convaincre ou séduire l’auditoire. Wacquet s’interroge aussi sur les liens interpersonnels et les communautés au sein desquelles se construit le savoir, où les émotions jouent un rôle central : douloureuse situation des chercheurs sans poste permanent marquée par la précarité et l’exclusion ; relations heureuses ou tendues entre maîtres et disciples ; liens d’amitié entre chercheur.e.s. ; ou fins de carrière qui sont, selon elle, des moments privilégiés d’expression des émotions. Dans un deuxième chapitre, l’historienne s’intéresse à la dimension émotionnelle des lieux de la recherche : bibliothèques, laboratoires, terrains d’enquête ou bureaux. Dans le troisième, Waquet aborde finalement les objets de la recherche ainsi que leurs enjeux affectifs. Elle rapporte la douleur de la perte d’une bibliothèque ou de documents de travail ; elle détaille le rapport intime d’attachement qui se noue avec les cahiers de recherche et les notes de terrain, mais également l’ambiguïté de notre relation aux livres imprimés. Enfin, elle s’intéresse à l’introduction de l’informatique dans la recherche : les premières angoisses, les premières peurs, mais aussi les premiers émerveillements face à ces machines qui sont censées appuyer les chercheur.e.s, mais qui parfois les freinent. Dans la deuxième partie de l’ouvrage, Waquet analyse les émotions à l’oeuvre dans le travail même de la recherche, toujours au XIXe et XXe siècles. Elle entend ainsi démystifier la figure du scientifique contemporain, montrer qu’il ou elle n’est pas un robot sans âme ni ressenti. Elle revient d’abord sur les rencontres livresques ou personnelles qui ont lancé ou transformé des carrières. Le choc que fut la lecture de La Société féodale de Bloch pour le jeune Georges Duby, ou celle de La Chine de Maspero pour l’orientaliste Bernard Frank. L’importance des cours de Braudel pour toute une génération d’historien.ne.s, tout comme ceux de Lévi-Strauss pour les anthropologues. Elle s’intéresse ensuite aux sujets de recherche et à ce qui a pu conduire les chercheur.e.s à s’y intéresser. Elle questionne les doutes, angoisses, revirements, surprises, rencontres agréables ou non, qui font la recherche, mais aussi le travail collectif qu’implique la science et qui est également source de joie ou de profondes déceptions, tant les relations …