Comptes rendus

BIZIMANA, Aimé-Jules, De Marcel Ouimet à René Lévesque. Les correspondants de guerre canadiens-français durant la Deuxième Guerre mondiale (Montréal, vlb éditeur, coll. « Études québécoises », 2007), 369 p.[Notice]

  • Desmond Morton

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  • Desmond Morton
    Institut d’études canadiennes, Université McGill

Comment les Canadiens francophones ont-ils suivi ce qui arrivait outre-mer à leurs soldats ? Le titre même de l’ouvrage de référence sur le sujet du reportage de guerre, The First Casualty : The War Correspondent as Hero and Myth-Maker from Crimea to Kosovo de Philip Knightley, trahit d’emblée son parti pris et Bizimana ne se prononce pas sur l’objectivité des éminents journalistes québécois qui rendaient compte, sur tous les fronts, de la guerre menée par les Alliés contre Mussolini, Hitler et l’empereur Hirohito. D’ailleurs, pratiquement intégrés de fait aux forces armées, les reporters de guerre en uniforme et à la merci de l’armée canadienne pour leurs déplacements et leur subsistance en campagne étaient les agents minutieusement contrôlés d’un effort de guerre qui dépendait largement de l’adhésion civique à l’effort de guerre national, et ce, d’autant plus que l’enthousiasme des Canadiens francophones pour cette cause était quelque peu incertain. Bizimana a soigneusement séparé son traitement à moitié biographique des correspondants de guerre canadiens-français d’un chapitre sur la gestion de la censure par Ottawa et, de manière nettement plus significative, par ses alliés de Londres et Washington. Personne ne sera surpris d’apprendre que les censeurs militaires étaient bien décidés à préserver le front de l’arrière des nouvelles dérangeantes. Dieppe, le premier affrontement d’envergure pour des soldats canadiens durant la Seconde Guerre mondiale, a entraîné l’anéantissement presque complet des Fusiliers Mont-Royal de Montréal. Les premières nouvelles du raid qui ont été communiquées au public britannique faisaient état d’un grand succès et, par-dessus tout, d’un triomphe pour la RAF. Toute mention de pertes canadiennes ou de la moindre participation du Canada a été supprimée par les censeurs, au fait de la colère d’Ottawa ? ? (ou en raison de la colère d’Ottawa), et les autorités canadiennes ont adroitement neutralisé toutes les tentatives des correspondants de guerre de rencontrer des survivants canadiens du débarquement de Dieppe. Quiconque connaît l’histoire des correspondants de guerre durant la guerre de 1914-1918 ne s’étonnera pas des problèmes vécus en 1939-1945. Parfaitement au courant des reproches lancés par les journalistes aux stratèges militaires britanniques durant les guerres de Crimée et d’Afrique du Sud, le War Office avait déjà préparé sa riposte quand Joffre, le commandant en chef français, chassa tous les journalistes des champs de bataille. L’armée britannique le déjoua en faisant d’un officier d’État-major un correspondant de guerre. Le colonel Ernest Dunlop Swinton, auteur de récits d’aventures pour les garçons, devait rédiger un communiqué quotidien signé « Eye-Witness » afin de fournir au public britannique toutes les nouvelles que l’armée jugeait bon de divulguer. Officier du génie, Swinton avait déjà conçu l’idée d’un véhicule blindé à chenilles pour détruire les mitrailleuses sur le champ de bataille. Évidemment, les accomplissements canadiens étaient rarement à l’honneur dans ces textes prudents de quelques milliers de mots produits au jour le jour par Swinton, tous empreints du flegme traditionnel cher aux officiers britanniques. Par conséquent, Ottawa attribua le même rôle à un correspondant canadien. Dans le Canada d’avant-guerre, Max Aitken avait été un jeune prodige de la nouvelle industrie des fusions et acquisitions, y gagnant des fortunes. Quand il avait quitté le Canada pour l’Angleterre en 1910, ses critiques avaient prétendu qu’il fuyait de vagues accusations de magouillages financiers. Néanmoins, Aitken avait prévu de revenir au moment des prochaines élections et de conquérir un siège pour les Conservateurs de sir Robert Borden. En Grande-Bretagne, il avait vite gagné un siège au sein de la députation parlementaire des Tories avant de se jeter à corps perdu dans la lutte politique à Londres. Aitken était un tenant convaincu de l’Empire britannique et un ami fidèle …