Note critique

Être patron au Québec au début du xxe siècle : trois essais biographiques[Notice]

  • Pierre Lanthier

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  • Pierre Lanthier
    Centre interuniversitaire d’études québécoises
    Université du Québec à Trois-Rivières

Pendant plusieurs décennies, l’histoire économique a été caractérisée par une approche qui insistait davantage sur la récurrence et le comportement moyen que sur l’exceptionnel ou le remarquable. La biographie va à l’encontre de cette approche. Elle s’attache à des personnes ayant marqué une époque ou dont les activités ont eu une incidence à long terme sur la société ; bref, des personnes dont la mémoire a survécu à leur décès et qui, avant même que l’histoire s’en empare, ont fait l’objet de diverses publications, dithyrambiques autant que polémiques. Dans le cas du monde patronal, la situation est d’autant plus intéressante que le patron occupe dans la société une position paradoxale : s’il a besoin de stabilité politique et sociale pour agir, en revanche les risques qu’il prend fragilisent ses assises et les entreprises qu’il crée suscitent souvent des remous, sans jamais bénéficier de la permanence des institutions publiques. Les trois ouvrages recensés illustrent bien ce propos. Ils sont consacrés respectivement à Max Aitken, à Hubert Biermans et à James Buchanan Duke. Le premier, avant de prendre le titre de lord Beaverbrook en Grande-Bretagne, figurait parmi les financiers les plus en vue au Canada sous le règne de Laurier. Le deuxième, d’origine hollandaise, lança et dirigea l’une des plus importantes usines de pâtes et papiers au Québec avant la Grande Guerre. Quant au dernier, il était déjà à la tête d’un groupe industriel américain combinant le tabac et la chimie lorsqu’il s’intéressa à l’aménagement du Saguenay et du lac Saint-Jean, afin d’y implanter un complexe industriel. Tous les trois vécurent leurs années les plus décisives entre 1890 et 1930. De 1896 à 1914, l’Occident vécut une croissance économique forte, momentanément gênée par les crises de 1902 et de 1907. Il s’agissait d’un temps propice aux affaires, avec la mise en oeuvre de nouvelles techniques et l’exploitation de ressources naturelles dans des régions peu habitées. C’était le moment de prendre des risques, de miser gros, ce que beaucoup firent. Max Aitken était de ceux-là. L’ouvrage qui lui est consacré est le fruit d’une recherche doctorale que Gregory Marchildon a menée à la London School of Economics and Political Science. L’auteur nous prévient d’emblée que son livre n’est pas une biographie de lord Beaverbrook, mais une étude du boom financier sous Laurier, de 1896 à 1913, avec Max Aitken comme protagoniste (p. ix). Né en 1879 au Nouveau-Brunswick, ce fils d’un ministre presbytérien délaissa ses études secondaires pour être agent d’assurances. En l’espace d’une dizaine d’années seulement, il deviendrait l’une des grandes figures du monde financier canadien et, à ce titre, l’un des représentants les plus en vue de sa génération qui vit tant de promoteurs et de spécu-lateurs s’enrichir selon des méthodes pas toujours louables. Ce sont justement ces méthodes que veut exposer Marchildon (p. 13). Ce fut grâce à son métier d’agent d’assurances que le jeune Max pénétra dans le monde des affaires d’Halifax. Il devint le secrétaire privé d’un promoteur au faîte de sa carrière, John F. Stairs. Il apprit beaucoup à son contact, non seulement sur le plan des affaires mais aussi sur celui de la politique : député conservateur et supporter de Macdonald, Stairs rêvait d’une fédération protectionniste regroupant la Grande-Bretagne et ses colonies « blanches ». Aitken allait s’inspirer de cette vision. Stairs confia à Aitken diverses missions financières, aux Antilles notamment, en plus de le nommer secrétaire de la banque d’affaires qu’il venait de fonder, la Royal Securities Corporation (RSC). À la mort de Stairs, Aitken s’affranchit du monde des affaires d’Halifax et établit des contacts avec le milieu financier montréalais, contacts qui lui permirent d’étendre …

Parties annexes