Présentation

Nouvelles relations à la mort à l’ère du numérique et du transhumanismeNew Relationships to Death in the Digital Age and TranshumanismNuevas relaciones con la muerte en la era digital y el transhumanismo[Notice]

  • Mouloud Boukala,
  • Hélène Bourdeloie et
  • Gil Labescat

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  • Mouloud Boukala
    Ph. D., professeur, École des médias, Université du Québec à Montréal, Centre de recherches Cultures – Arts – Sociétés (CELAT)
    boukala.mouloud@uqam.ca

  • Hélène Bourdeloie
    Maîtresse de conférences, LabSIC, Université Sorbonne Paris Nord
    Helene.Bourdeloie@Sorbonne-Paris.Nord.fr

  • Gil Labescat
    Ph. D., chercheur; chargé de cours à l’Université du Québec à Montréal et à l’Université de Montréal
    gil.labescat@umontreal.ca

Ce numéro de Frontières interroge la façon dont le numérique fait émerger de nouveaux enjeux dans le domaine de la mort et redéfinit les frontières entre présence et absence, oubli et éternité, sphère publique et privée, puis liberté et normativité (Walter, 2015). Les technologies numériques et leurs usages contribuent en effet à renouveler les temporalités dans la façon d’annoncer la mort, de la marquer, d’effectuer le travail de deuil, d’exprimer des émotions, d’échanger avec des défunts et des défuntes, de les célébrer et de continuer à les faire vivre en leur assignant une existence socionumérique dans une durée. Au-delà, le numérique brouille les frontières du vivant en perpétuant l’idée d’une existence socionumérique éternelle transcendant la mort biologique. Les notifications envoyées par un réseau, par exemple Facebook, au travers de ses algorithmes qui ignorent la mort du titulaire d’un compte ou les publications (posts) « intempestives » de la part d’« amis Facebook » qui insinuent la mort ou l’annoncent, troublent les cadres spatio-temporels qui, traditionnellement, scandaient le processus de deuil (Bourdeloie, 2018). L’emprise du numérique renouvelle aussi la question du sens de la mort, en particulier sur le Web avec la survivance numérique face à la mort physique (Cavallari, 2013), tout comme celle des ritualités funéraires (Quinche, 2017; Dilmaç, 2016; Kaleem, 2012) qui changent dans leurs modalités en proposant de nouvelles expressions (mémoriaux numériques, portraits nécrologiques, façons de « dire » la mort) (Florea, 2018). Plus encore, cette emprise ébranle le rapport au souvenir, à l’héritage, au patrimoine, au processus de deuil ou à l’organisation des obsèques (Bourdeloie et al., 2016). Dans ces mondes numériques, des profils d’internautes morts sont abandonnés par leurs « propriétaires » (Cavallari, 2013), des cimetières virtuels prolifèrent (Gamba, 2016; Bourdeloie, 2015), la quête d’immortalité est fantasmée (Gamba, 2016, 2007). Des réseaux sociaux sont investis pour rendre hommage et communiquer avec des défunts et des défuntes (Brubaker, Hayes et Dourish, 2012), des sites font office de faire-part (Pène, 2011), des cérémonies funéraires sont retransmises (Pitsillides, Katsikides et Conreen, 2009) via des sites Web de partage de fichiers. De fausses rumeurs de décès s’amplifient, des morts symboliques et sociales (cyber-harcèlement et cyber-humiliation) se font jour (Dilmaç, 2014), des informations liées au suicide sont recherchées (Neyrand, 2018) et des contenus d’exécution de plans d’attaque meurtriers (attentats, tueries de masse, etc.) s’organisent, circulent et laissent des traces qui peuvent inspirer des actes de criminalité. Les questions qui sont soulevées par ces stratégies médiatiques sont ainsi d’ordre anthropologique, psychologique, social ou éthique. Quelle est la signification du mourir sur le Web (Cavallari, 2013)? Comment investir des espaces numériques où les traces de personnes disparues persistent tandis que des proches endeuillés voudraient les voir disparaître à jamais? Les objets connectés interrogent les formes et le fonctionnement qu’un portrait numérique du défunt ou de la défunte pourrait avoir : fragmentaire, public, ouvert? Les sites Web mémoriels et mausolées virtuels favorisent-ils l’apprivoisement de la perte par l’entremise d’une reconnaissance sociale à travers un partage d’informations dans des lieux numériques ou, au contraire, agissent-ils comme des espaces de « répétition traumatique » (Missonnier, 2015)? Comment les pratiques numériques relatives à la mort, à la mémoire et au deuil reconfigurent-elles les « cadres informationnels et énonciatifs » enchevêtrés aux technologies numériques (Pène, 2011)? Dans quelle mesure ces pratiques participent-elles d’un « processus de désinstitutionnalisation du deuil collectif » (Wrona, 2011)? Si le sujet de la « mort » sous l’angle du numérique est encore relativement peu abordé dans le monde francophone – contrairement au monde anglo-saxon où les études sur la mort font l’objet d’un champ consolidé sous la terminologie des …

Parties annexes