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Multiplicité et transformations des morts animales dans les sociétés contemporaines[Notice]

  • Mouloud Boukala et
  • Olivier Givre

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  • Mouloud Boukala
    Ph. D., professeur, École des médias, Université du Québec à Montréal, Centre de recherches Cultures – Arts – Sociétés (CELAT)

  • Olivier Givre
    Ph. D., maitre de conférences, anthropologie, Université Lumière Lyon 2, CNRS EVS – UMR 5600

La mort ou la disparition des animaux soulèvent aujourd’hui des enjeux scientifiques, éthiques, juridiques, politiques, sanitaires, affectifs et économiques cruciaux. Conditions d’abattage des animaux d’élevage, dénonciation de la surpêche, introduction de la notion de sensibilité animale dans les textes juridiques, émotion suscitée par le « meurtre » d’un rhinocéros dans un zoo français afin de dérober sa corne ou encore par l’agonie d’ours polaires victimes du réchauffement climatique… il ne se passe pas un jour sans que s’impose dans le débat public et les médias l’idée que nous serions confrontés à un véritable « problème animal », aux échelles d’individus singuliers comme d’espèces entières. L’une des raisons des sensibilités actuelles à la condition animale est certainement le caractère inédit et parfois irréversible des pressions (et des oppressions) que les sociétés contemporaines, industrialisées, urbanisées, globalisées et technicisées font peser sur le vivant. Effet direct de « l’anthropocène » (Latour, 2014) sur les mondes animaux, la détérioration et l’anthropisation des milieux ont pour conséquence concrète la perspective d’une « sixième extinction des espèces » (Kolbert, 2015) en cours sous nos yeux. D’autre part, les questions de la souffrance et de la conscience animales (Le Neindre et al., 2009) occupent une place croissante dans le débat public, entre critique de l’économie industrielle et globalisée de l’élevage et de l’abattage et développement de sensibilités écologiques, alimentaires, affectives diverses. La mort des animaux interroge ainsi tout autant nos modes de production et de consommation que nos manières d’être et de sentir (pour une approche conjuguant ces différents aspects dans le cas de l’élevage, voir Porcher, 2003b), mais aussi des enjeux à la fois politiques, culturels, écologiques et d’espèce à proprement parler. La question du statut des animaux au moment de leur mort recouvre ici celle des frontières mouvantes et en perpétuelle redéfinition des relations entre espèces humaine et animale. En effet, depuis des millénaires, les humains non seulement coexistent mais coévoluent avec les animaux sous des formes (prédation, domestication, concertation, partenariat, élevage, etc.) et selon des modalités diverses (entre « asymétrie de la relation, appropriation ou exploitation de l’une par l’autre, transformations et dénaturalisations du vivant, authenticité et amour entre personnes hétérogènes », Despret, 2009, p. 753). Ces relations invitent à la fois à saisir l’histoire longue du passage de la domestication à la production animale (Bulliet, 2005) et les réflexions les plus contemporaines sur les notions de « compagnonnage » (Haraway, 2010, 2007) ou encore de « sentience ». La reconnaissance croissante des animaux comme êtres sensibles (Auffret Van Der Kemp et Lachance, 2013), dotés de conscience, d’une personnalité juridique (Falaise, 2018) et de droits (Giroux, 2018, 2017; Marguénaud, Burgat et Leroy, 2016; Chapouthier, 2014a, 1992; Les animaux de sont pas des choses, 2014; Christen, 2009; Babadji, 1999), ainsi que la généralisation de la notion de « bien-être animal » (Burgat, 2006, 2001; Porcher, 2003a) obligent à repenser les pratiques de mise à mort et leurs recompositions. Ces transformations interrogent en profondeur les modes de compréhension de la « condition animale » (Cyrulnik, 1998), des « liaisons animales » (Laugrand, Cros et Bondaz, 2015), et plus largement les rapports entre « humains et non humains » (Houdart et Thiery, 2011). Elles suscitent une attention accrue tant du point de vue des sciences sociales en général (Rémy et Guillo, 2016), et plus particulièrement de la philosophie (Haraway, 2007; Fontenay, 1998), de l’histoire (Baratay, 2017, 2012; Ritvo, 1995;), de l’anthropologie (Viveiros de Castro, 2011; Descola, 2010), de la géographie (Estebanez, 2008), que des sciences vétérinaires, de l’éthologie, des domaines du droit et ceux de l’art. En interrogeant les sociétés humaines à partir de ce …

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