Présentation

Dans les ruines de la ville postindustrielle, de la friche à la revitalisation urbaine[Notice]

  • Estelle Grandbois-Bernard,
  • Gil Labescat et
  • Magali Uhl

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  • Estelle Grandbois-Bernard
    Candidate au doctorat, Département de sociologie, Université du Québec à Montréal

  • Gil Labescat
    Ph.D., Chargé de cours, Département de sociologie, Université du Québec à Montréal

  • Magali Uhl
    Professeure, Département de sociologie, Université du Québec à Montréal

La société postindustrielle produit de plus en plus de « cités fantômes », ces villes, quartiers et rues désertés par leurs habitants lors d’une crise économique (Détroit, Michigan ; Gary, Indiana), d’un accident nucléaire (Pripiat, Ukraine ; Fukushima, Japon), d’une catastrophe naturelle (New Orleans, Louisiane ; Plymouth, Montserrat) ou encore, à l’occasion d’un plan d’urbanisation forcée, ou d’un projet industriel avorté (Ordos, Mongolie ; Hashima Island, Japon). Ces zones urbaines, si souvent représentées dans leur matérialité brute – décombres, ruines et objets du quotidien désertés de toute âme –, interrogent particulièrement le devenir de nos sociétés ébranlées par les successives crises économiques, écologiques et humanitaires, articulées aux nouvelles configurations du local au global. Les ruines et les vestiges de la cité sont depuis longtemps l’objet de réflexions philosophiques. Leur présence, témoignage d’une béance, invite à une méditation sur le déclin et la disparition des civilisations passées, sur l’inexorable passage du temps et l’échec de son contrôle, sur l’incertitude des activités humaines, sur la perte, le manque, la mort. En elles s’exprime « […] la fatalité en germe au coeur de toute chose » (Lacroix, 2008, p. 85), et elles appellent en ce sens une conscience aiguë, sensible, du temps, un « temps pur » (Augé, 2003) qui se donne, avant toute mise en récit, comme sensation et condition. L’esthétique de la mort dans les ruines de la cité, qui joue de ce dessaisissement vertigineux provoqué par la sensation du temps qui court, se transforme radicalement au début du XXe siècle pour interroger non plus un passé disparu qu’on regretterait, mais bien un présent de guerre et de décombres, un présent-catastrophe (Makarius, 2004 ; Benjamin, 1991). Aujourd’hui, le nouvel engouement pour les paysages de déréliction s’exprime dans une foule de pratiques et manifestations culturelles (photographie de ruine, exploration urbaine, dark tourism, récits postapocalyptiques, expositions muséales, notamment), et invite à renouveler notre réflexion en observant les nouvelles manières de les lire et de les investir. Les images de ruines urbaines envahissent par exemple de plus en plus les espaces de diffusion médiatique et artistique, montrant des paysages vidés de toute âme, où seule la nature semble reprendre ses droits sur le béton mortifère. Sur les réseaux sociaux du web (Facebook, Pinterest, Instagram, Buzzfeed) comme dans les musées, les représentations de cités désertes pullulent, présentant souvent un portrait recadré et esthétisé de lieux abandonnés. Que montrent réellement ces images ? Comment la mise en image d’une désolation postindustrielle est-elle susceptible d’éclairer la compréhension que nous avons du devenir de nos sociétés ? Par ailleurs, les zones urbaines partiellement ou intégralement détruites qui se multiplient engendrent paradoxalement un phénomène de revitalisation. Réappropriations citoyennes de quartiers désertés, détournements de lieux désaffectés, chantiers de rénovation publics, concours artistiques ou architecturaux : toute une série de pratiques et d’interventions témoignent de ce va-et-vient entre l’anéantissement inexorable de la cité, et un futur réinvesti, réinventé par-delà le bâti, pour ceux qui restent, résistent et survivent dans ces paysages meurtris. Les désaffections des villes postindustrielles soulèvent aussi des enjeux de mémoire(s) collective et de transmission, entre autres liés à la préservation du patrimoine industriel, matériel autant qu’immatériel. À la question « que doit-on faire des ruines et décombres ? », certains répondent par la patrimonialisation et la mise en valeur, d’autres par l’abandon pur et simple, d’autres encore par la démolition. Une importante industrie touristique s’est développée autour des catastrophes, de la désertification des villes postindustrielles ou des zones sinistrées. On peut s’interroger sur les motivations des touristes comme sur celles des organisateurs, de même que sur le type d’expérience mémorielle que provoque la proximité des …

Parties annexes