RecensionBook reviewRezension

Weber, Max. (2015). Discours de guerre et d’après-guerre, Hinnerk Bruhns (dir.), traduction d’Ostiane Courau et Pierre de Larminat, Paris : Éditions de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (Collection audiographie), 133 p. ISBN : 9782713225062[Notice]

  • Louis-Philippe Vien

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  • Louis-Philippe Vien
    Universität Erfurt

En 1985, lorsque l’ouvrage de Wolfgang Mommsen Max Weber et la politique allemande : 1890-1920 est traduit en français, un quart de siècle après sa parution allemande, sa critique des valeurs politiques de Weber n’a rien pour surprendre. L’objurgation contre la pensée politique wébérienne est déjà un élément central de sa réception dans le monde francophone. Dès les années soixante, Raymond Aron avait introduit le sociologue en France et en proposait une lecture qui, sans en accepter les accents les plus sévères, épousait tout de même les conclusions générales de Mommsen ; il distinguait le « philosophe » du « théoricien de la Machtpolitik » (la politique comme quête de puissance) et tentait de sauver l’héritage du premier des erreurs circonstancielles du second (Aron 1966, 1967). En l’absence d’un accès direct aux textes politiques de Weber, l’interprétation d’Aron a, de longues années durant, détourner le monde académique francophone de tout intérêt sérieux pour sa pensée politique. Il faudra attendre la « renaissance des études wébériennes », fruit du travail d’édition critique de la Max-Weber-Gesamtausgabe (MWG), pour que de l’Allemagne, puis du monde anglo-saxon, l’on découvre le mérite des textes engagés de Weber. Discours de guerre et d’après-guerre, dirigé par Hinnerk Bruhns, directeur de recherche émérite au CNRS et figure reconnue des études wébériennes, est à la fois le fruit de ce regain d’intérêt pour la pensée politique wébérienne, mais aussi le témoin du retard qu’accuse le monde académique francophone dans la traduction et dans la réception des textes politiques de Weber. Pour qui veut comprendre ce en quoi consiste la contribution de Discours de guerre et d’après-guerre, c’est par cette question qu’il nous faut commencer. Pendant plus de quatre décennies, le seul texte politique de Weber disponible en français a été la conférence sur La profession-vocation de politique traduite par Julien Freund en 1959 dans le Savant et le politique, livre préfacé par Aron. Ce n’est qu’en 2003 qu’une seconde traduction de ces conférences sera publiée par Catherine Colliot-Thélène, puis, en 2005, qu’Élisabeth Kauffmann proposera un premier recueil d’écrits politiques de Weber en langue française. Parce qu’il permet enfin l’éclairage mutuel de textes politiques et théoriques, ce livre ouvrira la voie à une lecture neuve et féconde de la pensée politique wébérienne. Bien qu’il soit intitulé Oeuvres politiques 1895-1919, ce recueil ne comporte que dix textes de Weber, par comparaison aux dizaines qui se retrouvent aujourd’hui dans la MWG. C’est donc dire à quel point le corpus politique de Weber, contrairement à ses textes théoriques, reste aujourd’hui encore peu connu dans le monde francophone. Ce n’est qu’en 2013, sous le titre de La domination, que l’un des principaux pans manquants d’Économie et société, la « Sociologie de la domination », sera enfin proposé aux lecteurs francophones. Si la pensée politique de Weber peut maintenant être abordée en français par l’entremise de certains de ses textes politiques et de sa sociologie de la domination, le service que rend Hinnerk Bruhns par son ouvrage est d’ouvrir une troisième et nouvelle voie d’accès à cette dernière : celle de la conception wébérienne de la Grande Guerre. À la lecture des textes réunis par Bruhns, on découvre un Weber qui refuse de participer à la guerre culturelle [Kulturkrieg] livrée par de nombreux intellectuels allemands contre leurs pairs de pays ennemis. Weber se moque également ouvertement de ceux qui voudraient affirmer la spécificité et la supériorité des valeurs allemandes tel qu’un Ernst Troeltsch, pour qui le but culturel de la guerre est la défense de « la liberté allemande » (Bruhns 2015 : …

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