Documents. Lettres de Claude Gauvreau à Guy Borremans[Notice]

Présentations de Sébastien Hudon et Gilles Lapointe

Dans cette lettre adressée au photographe et cinéaste Guy Borremans, Claude Gauvreau évoque le texte poétique qui forme la trame narrative de son film intitulé La femme image. C’est ce long poème lyrique — au croisement du surréalisme et de l’automatisme — qui fut utilisé comme scénario et servit de fil conducteur à ce moyen métrage de fiction d’une quarantaine de minutes réalisé entre 1958 et 1960. Dédié à Claude Gauvreau, La femme image est l’un des très rares essais cinématographiques expérimentaux et indépendants à avoir été réalisés au Québec avant les années 1960. Manifeste ambitieux qui cherche à réunir un ensemble de disciplines artistiques, ce film associe à ce poème de Guy Borremans écrit en une seule nuit une trame sonore de jazz improvisée directement par les musiciens au cours d’une séance de projection du film. Le tout se retrouve capté sur pellicule par une direction photographique en lumière naturelle qui parvient, à travers un montage inspiré et non linéaire, à un fantastique moment d’utopie artistique à l’aube de la Révolution tranquille. En effet, pour Borremans, cette hybridation et cette révolution de différents médias et langages créatifs visent à une libération des contraintes idéologiques qui étouffaient alors plusieurs champs artistiques. Or, ce film, en débordant de son cadre, n’apporte-t-il pas sa contribution à la profonde transformation culturelle qu’allait connaître le Québec dans les années à venir ? Si c’est le cas, c’est certainement grâce à ses revendications libertaires et son rejet de l’esprit de censure exprimés à travers une célébration explicite de l’image de la femme et de la sexualité faisant fi des interdits moraux. Tous ces aspects, qui relèvent d’une recherche d’authenticité et passent par une spontanéité élevée en idéal créatif et performatif, permettent effectivement de voir aujourd’hui ce film comme l’un des joyaux de l’égrégore montréalais de l’époque. La communion d’idées de Borremans et Gauvreau s’y réalise, pour un moment, en vue d’un objectif partagé : la quête de la liberté. Dans cette seconde lettre du 27 novembre 1960 à Guy Borremans, Claude Gauvreau réagit à la critique mitigée de Jean-Claude Pilon, parue dans le premier numéro de la revue de cinéma indépendante Objectif (1960-1967), fondée par Robert Daudelin et Guy Patenaude. Faisant partie d’un groupe de cinéphiles et cinéastes québécois qui cherchent à affranchir le répertoire cinématographique de la mainmise de l’Église catholique, Jean-Claude Pilon anime à cette époque « Ciné-samedi », un ciné-club parallèle qu’il a mis sur pied à la fin des années 1950 et pour lequel il se procure régulièrement aux États-Unis des copies de films qu’il fait entrer illégalement au Québec. Jean Marcel fait remarquer que la plupart des jeunes collaborateurs de la revue Objectif, parmi lesquels on compte Jean-Pierre Lefebvre, Pierre Hébert, Jacques Leduc et Pierre Théberge, n’ont « pas encore complètement évacué la rhétorique catholique ». Toutefois, dès l’éditorial du second numéro de la revue, souligne-t-il, « le ton est donné. L’ennemi à abattre, c’est la censure. L’affaire Hiroshima mon amour, amputé de 13 minutes par les obscurantistes protecteurs des bonnes moeurs du Québec, agite les milieux intellectuels ». Claude Gauvreau n’a pas assisté à la projection de La femme image de Guy Borremans, ce qui ne l’empêche pas d’exprimer son indignation à l’endroit du jugement dépréciatif porté par Jean-Claude Pilon sur le film de Borremans : celui-ci dépeint le cinéaste comme prisonnier de lui-même, « de ses complexes et de ses inhibitions ». Sa « quête-à-l’amour », que Pilon considère « trop maladivement subjective pour nous rejoindre vraiment » et dans laquelle « nous aurions voulu entendre un cri », ne serait « qu’une longue plainte …

Parties annexes