Présentation : les modulations de l’engagement, entre adhésion et tension[Notice]

  • Danielle Forget

Donner son aval à une cause, clamer son allégeance ne se fait jamais dans l’indifférence. Une force de conviction se manifeste, de même que la tension vers un but auquel on souhaite rallier auditeurs ou lecteurs. Quant au dictionnaire, il propose une définition de l’engagement en ces mots : « Acte ou attitude de l’intellectuel, de l’artiste qui, prenant conscience de son appartenance à la société et au monde de son temps, renonce à une position de simple spectateur et met sa pensée ou son art au service d’une cause. » Qu’en est-il de la littérature : est-elle un espace propice à l’engagement ? En dépit de la difficile cohabitation entre les canons littéraires et l’engagement, que les études de Sartre et de Barthes, notamment, ont abordée sous des angles particuliers, parfois contestés comme l’a fait ressortir Benoît Denis dans son ouvrage Littérature et engagement : de Pascal à Sartre, la littérature regorge de ces élans d’adhésion à une cause que les pratiques d’écriture soutiennent avec des tons et une intensité variables. La parole engagée, si elle se retrouve dans des écrits comme dans les études historiques ou, de manière plus explicite, dans les études sociopolitiques, le pamphlet ou encore l’essai littéraire, ne se prive pas de survenir dans la fiction. Plusieurs auteurs ont mis en évidence la force d’une telle parole engagée et la contribution qu’elle pouvait apporter à la réflexion et aux débats susceptibles d’alimenter les préoccupations sociopolitiques, idéologiques et esthétiques d’une communauté culturelle. Il en va ainsi des études d’Emmanuel Bouju et de Benoît Denis qui ont traversé les courants littéraires français, faisant ressortir des aspects incontournables de cette problématique. Emmanuel Bouju défend la thèse de l’exercice d’une responsabilité de l’écrivain impliqué dans l’échange littéraire. L’engagement devient une manière de penser politiquement le littéraire comme discours sous-tendu par un « modèle éthique ». L’écrivain offrirait une transcription personnelle de l’histoire, exploitant formes et agencements littéraires dans une convocation médiatisée du lecteur destinataire. Nous nous attacherons ici au plan sémantico-pragmatique des textes afin de mieux cerner l’enjeu rhétorique de l’engagement. Celui-ci n’est pas que l’élan vers un but. La cause défendue a aussi son repoussoir : celle que l’on rejette. Le processus par lequel on décrie certaines prises de position est tout aussi concerné par l’engagement que celui par lequel on les défend. Dénier des appartenances, prendre le contrepied des affirmations proclamées comportent toujours cette tension bien sentie de la part de celui qui avance ses positions ; il engage son identité dans un discours défenseur de principes, de valeurs sur la place publique des écrits en circulation. C’est peut-être pour cette raison qu’on a tendance à associer l’engagement à un système de normes, à la défense d’une institution, ce qui élargit la simple implication individuelle, conduit au ralliement, tissant un arrière-plan collectif à l’engagement. En tout cas, celui qui s’engage accepte les contraintes de la cause à soutenir, fait preuve de cette sorte de constance indéfectible qui inscrit son adhérent dans la durée et la stabilité d’une conviction. Voilà ce qu’il en est de l’environnement sémantique auquel nous convie généralement la notion. Toutefois, on rencontre aussi ce qu’il convient d’appeler le désengagement, une position rhétorique qui se profile dans le déplacement de l’engagement vers des moyens qui tiennent de l’esquive ou du retournement : pensons à la dérision, au paradoxe et aux autres moyens de brouiller les pistes sur la prise de position adoptée ou de remettre en question la posture même de l’écrivain. Le désengagement serait-il simple désinvolture ? Il est peut-être, plutôt, « insoumission », tel que le conçoit l’écrivain Jean-Michel Espitallier qui l’intègre …

Parties annexes